Directeur général des Établissements Jean-Pierre Moueix, de Libourne, dans le Bordelais, Laurent Navarre a fait goûter récemment, à Montréal, 12 vins rouges du millésime 2005, qu'a produits cette entreprise familiale très réputée.

«2005 sera un millésime vraiment historique», affirmait-il avant la dégustation.

Le premier vin goûté, qu'élaborent les Moueix avec des raisins d'achat, fut le Bordeaux 2005 Merlot Christian Moueix, (14,75$) et le 12e le Pomerol 2005 Château Pétrus, qui fut commercialisé en primeur par la SAQ, alors qu'il était encore en fûts, au prix de... 1299$ la bouteille.

Or, malgré la différence de prix hallucinante, ces deux vins ont quelque chose en commun. À savoir, mais chacun à son niveau, la concentration, l'éclat et la fraîcheur du fruit, mais également la masse tannique.

Mais, d'abord, quelques mots au sujet de ce millésime, dont on a déjà dit monts et merveilles et dont on trouve désormais de plus en plus de vins au Québec.

«2005 laissera le souvenir d'un millésime de grande qualité dont le climat, de l'hiver à l'automne, fut exceptionnellement sec pour le Bordelais, avec une fin de printemps et un été chauds, ensoleillés mais sans canicule», écrivaient il y a déjà un bon moment un groupe d'oenologues de Bordeaux - dont Denis Dubourdieu - dans une analyse détaillée de ce millésime (Le millésime 2005 à Bordeaux).

Un des principaux facteurs expliquant que la réussite fut «générale»: à cause du peu d'eau dont elle disposait, la vigne cessa rapidement de croître et de former des rameaux, quelque part vers la mi-juillet.

C'est-à-dire juste avant la véraison, qui est le moment où le raisin commence à changer de couleur.

Faute d'eau, la vigne arrêta donc «naturellement et définitivement sa croissance annuelle», de sorte que ce sont les fruits qui en profitèrent.

Très petits (toujours à cause du peu d'eau dont la vigne disposait), ceux-ci étaient riches en «tannin suave», écrivaient alors les oenologues bordelais.

Cependant, tout indique que les choses ont changé depuis le moment où fut rédigée cette analyse.

Car, en règle générale, les vins sont étonnamment tanniques sans être durs, et même un brin - un brin - carrés en ce moment, particulièrement les grands vins des Moueix.

Autrement dit, on peut s'attendre à ce que les meilleurs 2005, tel le magnifique Pomerol 2005 Château Trotanoy, aux tannins compacts et très serrés (c'était à mon sens le meilleur des 12 vins en excluant le Château Pétrus), aient un potentiel de garde d'au moins deux décennies, si ce n'est pas trois!

Jalousé, souvent très critiqué, l'Américain Robert Parker, auquel on peut tout reprocher sauf... de mal connaître les vins de Bordeaux, écrit à ce propos, dans son Guide Parker des vins de France (édition 2007), que de nombreux bordeaux rouges 2005 possèdent «le niveau de tannins le plus élevé jamais enregistré».

On peut ajouter enfin, ce qui est rarissime, que les vins blancs du Bordelais, secs ou moelleux comme les Sauternes, sont également très réussis en 2005.

Les vins des Moueix

Plus ambitieux que le simple Bordeaux 2005 Merlot Christian Moueix, le Pomerol 2005 Jean-Pierre Moueix - un assemblage de vins d'achat, mais qui a été élevé en fûts par les Moueix -, fait surtout de Merlot (90%) et de Cabernet franc (10%), au bouquet de bon volume, très fruits rouges, encore plutôt tout d'un bloc, est un vin qui ne manque pas de corps, avec de l'éclat, tannique sans agressivité. Et, du moins pour l'instant, un peu carré. Très bon (107 caisses disponibles).

S, 739623, 28,65$, ***, $$$ 1/2, 2008-2013.

Des 10 autres vins goûtés ce jour-là, seulement trois seront en vente sur notre marché, les sept autres ayant déjà été tous vendus en primeur par la SAQ.

Le moins cher, dont la SAQ a acheté une soixantaine de caisses, est le deuxième vin du Château Gazin, à savoir le Pomerol 2005 L'Hospitalet de Gazin, très coloré sans qu'il soit opaque, qui se présente avec un bouquet de très bon volume, de fruits rouges bien mûrs, avec aussi une toute petite note animale, m'a-t-il semblé. Et puis, en bouche, dense, corsé, tannique. Sérieux...

Noté trois étoiles et demie, il devrait coûter environ 40$ ou 45$ et sera commercialisé en octobre prochain, dans le cadre de l'opération Les seconds vins de grands châteaux.

On monte... une marche importante avec le Pomerol 2005 Château Hosanna (ex-Château Certan Giraud qu'ont acquis les Moueix en 1999), au boisé discret, compact, très ample, aux tannins à la fois substantiels et enrobés, et qui est un grand vin. Il sera mis en vente à... environ 250$ au moment de la publication du numéro de septembre 2008 du magazine de la SAQ Cellier.

Tout en notant bas, j'ai attribué quatre étoiles (ou 18,2 sur 20) au Château Hosanna, mais davantage, soit 18,5 au Pomerol 2005 Château Trotanoy, dont 15 caisses seront commercialisées ce printemps aux boutiques Signature, à un peu plus de... 250$.

D'une densité remarquable et d'une très grande richesse en tannins, quoique sans rien de massif, ce vin ira tout bonnement très - très - loin, et n'avait rien de ridicule à côté du monumental Pomerol 2005 Château Pétrus (**** 1/2), goûté immédiatement après.

Vin que les Moueix affectionnent particulièrement, le Pomerol 2005 Château Lafleur-Pétrus, qui coûtait 119$ en primeur, est d'ordinaire un vin très tendre, suave, élégant, en un mot irrésistible. Le 2005 est déjà plus abordable que, par exemple, Trotanoy ou Hosanna, tout en possédant une corpulence et une ampleur inusitées. Le millésime parle... Quatre étoiles, ou 18,2 sur 20.

Les autres vins dégustés étaient les Saint-Émilions 2005 Château Magdeleine (17,9) et Bélair (18), plus distingué que le précédent, puis les Pomerols 2005 Château Latour à Pomerol (17,8), Château Providence (18) et enfin Château Certan de May (17,7), que déparait un peu selon moi une note iodée.