Le Québec consomme à lui seul un peu plus de 75% de tout le bordeaux vendu au Canada, selon les données officielles de l'Institut du vin canadien. C'est dire l'intérêt que continue à susciter ce très grand vignoble, malgré les prix démentiels (le mot n'est pas trop fort!) de ses vins rouges les plus réputés.

Les dégustations de bordeaux mises sur pied par des clubs d'amateurs, ou par des particuliers, que ce soit à l'aveugle ou à bouteilles découvertes, sont donc nombreuses.

Question à se poser: à l'occasion de dégustations de plusieurs vins, y a-t-il un ordre dans lequel les déguster, ou l'ordre est-il dépourvu d'importance?

Naturellement, rien n'empêche de goûter sans ordre précis, quoiqu'on risque, en pareil cas, de mal juger certains vins.

Exemple, un vin peu corsé, mais fin et gracieux, dégusté après un vin plus concentré, plus tannique, paraîtra forcément mince et donc manquant de chair. Il pourra même être jugé dilué, ce qui est encore pire.

Car, immanquablement, la place que tout vin occupe dans une dégustation influe sur le jugement des participants.

Le très grand maître que fut Émile Peynaud, oenologue et auteur de plusieurs ouvrages magistraux sur le vin, souligne à ce propos, dans son chef-doeuvre, Le goût du vin, qu'«on doit tenir compte d'un certain nombre de règles» en organisant de telles dégustations.

«Rappelons d'abord la loi générale selon laquelle une sensation succédant à une autre n'est perçue à sa valeur que si elle est due à une excitation différente ou plus intense, poursuit-il. Il faut donc classer les vins à goûter par ordre d'intensités excitatives croissantes, c'est-à-dire des plus faibles aux plus alcoolisés, des plus légers aux plus corsés, des plus secs aux plus liquoreux. Il y a un ordre logique de dégustation à respecter.»

Peu importe l'origine des vins, «si l'on goûte une série de vins d'une même région, on les présente par valeur ou notoriété des appellations», écrit-il encore.

Après quoi il précise dans quel ordre, selon lui, il faut déguster les vins rouges du Bordelais.

«Ainsi, en Bordelais, on commence par les Bordeaux rouges, les Bordeaux Supérieurs, les vins de Côtes, avant de goûter les Fronsacs, les «satellites» de Saint-Émilion (Parsac, Puisseguin, Lussac, Montagne, Saint-Georges); on passe ensuite aux Saint-Émilions, aux Graves, aux Pomerols, aux Médocs, aux Haut-Médocs; les crus classés sont dégustés en dernier.»

Les Lalandes-de-Pomerol, dont il ne fait pas état, auraient pu sans doute figurer entre les satellites de Saint-Émilion et les Saint-Émilions.

Enfin, pour les vins du Haut-Médoc, l'ordre à suggérer pourrait être le suivant: Listrac-Médoc, Moulis, Haut-Médoc, Margaux, Saint-Julien, Saint-Estèphe et Pauillac.

Vins jeunes ou vins âgés d'abord?

Aux yeux de Peynaud, s'il s'agit de déguster «divers millésimes d'un même terroir, on commence alors par les vins les plus jeunes».

Toutefois, à cause de la concentration accrue et de leur plus fort degré alcoolique qu'autrefois de beaucoup de vins dits modernes - dont des bordeaux -, on a tendance désormais à goûter les vins rouges âgés, aux tannins assagis et veloutés, avant les vins jeunes.

Lesquels, s'ils sont dégustés en premier, sont susceptibles, encore une fois... d'assommer, pour ainsi dire, les plus âgés, en les faisant paraître décharnés et trop légers.

Enfin, recommande-t-il, et peu importe l'origine des vins, on déguste les vins blancs secs «dans l'ordre des degrés alcooliques», en allant donc des moins alcoolisés aux plus alcoolisés.

Puis, les vins blancs plus ou moins doux, c'est-à-dire sucrés, des moins sucrés aux plus sucrés, d'après «leurs teneurs croissantes en sucre».

Des vins rouges

Il n'y en a pas des tonnes (128 caisses très exactement), mais il y a de quoi se régaler avec ce généreux bordeaux rouge qu'est le Côtes de Bourg 2005 Château Montaigut, d'un beau pourpre... épiscopal, au bouquet de bonne ampleur, tout d'une pièce et au boisé un brin rustique, toutes choses qu'on lui pardonne en raison de la pureté de son fruit. Charnu, avec du corps et des saveurs pleines d'éclat, tannique quoique sans rugosité, il offre en bouche le même attrait qu'au nez. Bref, ce n'est pas un vin d'une grande finesse, mais quel fruit!

S, 712 885, 21,10$, ***,$$ 1/2, 2008-2012.

Élaboré avec essentiellement du Merlot (90%) et du Cabernet Sauvignon (10%), c'est un vin dont la moitié est élevée en fûts et l'autre moitié en cuves.

D'un millésime moins réputé, mais qui a donné néanmoins de bons bordeaux, le Montagne Saint-Émilion 2004 Les Cîmes Château Clos Daviaud, d'une couleur grenat légèrement évoluée, se présente pour sa part avec un bouquet au boisé séduisant et non sans distinction. La bouche suit, un peu plus que moyennement corsée, avec des tannins enrobés et une certaine austérité. Très bon (186 caisses).

S, 10 428 473, 23,20$, ***,$$ 1/2, 2008-2010.

Est-ce le millésime, ou un changement dans la méthode d'élaboration de ce vin? Toujours est-il que le Haut-Médoc Château Maucamps, qui m'est toujours apparu comme un vin fort élégant dans de précédents millésimes, est à mon sens de style un peu différent en 2005. Pourpre foncé, son beau bouquet de fruits rouges, aux notes boisées discrètes, a beaucoup de classe et de charme, alors que la bouche, ample, bien en chair, sur des tannins aimables, se signale principalement par sa concentration plutôt que par la distinction de sa texture. Très réussi quand même, mais il est cher (220 caisses).

S, 10 785 112, 34,50$, ***,$$$ 1/2, 2008-2013.

>>>Dégustés pour vous

Corbières 2006 Château St. Jean de la Gineste. Fait de Carignan (50 %), de Mourvèdre (30 %) et de Syrah (20 %), il s'agit d'un vin un peu plus que moyennement corsé, au fruité d'un éclat remarquable, aux tannins à la fois plutôt fermes et sans dureté aucune. D'un excellent rapport qualité-prix.

S, 875252, 14,95 $, ***, $ 1/2, 2008-2010.

Coteaux du Languedoc 2005 La Clape Château Mire L'Étang. Du Languedoc comme le précédent, et élaboré avec surtout de la Syrah (70 %), puis du Grenache et du Mourvèdre, c'est celui-ci un vin au bouquet passablement épicé (le bois) et aux nuances comme de cuir, dense et concentré, relativement corsé, et dont on sent un peu la chaleur alcoolique sur la langue (14 % d'alcool). Sérieux et très bon quand même.

S, 859132, 16,45 $, ***, $$, 2008-2010.

Sicilia 2006 IGT Lamura Casa Girelli. Joli rosé de Sicile d'une couleur rose-orangé, plutôt léger, au bon goût de fruit, simple et facile, et ne manquant pas de charme. Récemment inscrit au répertoire général.

C, 10510151, 12,30 $, **, $ 1/2, 2008.

Côtes de Nuits Villages 2005 Domaine Jean Féry & Fils. Bourgogne rouge séduisant, au bouquet... pimpant, associant quelque chose comme la framboise et le cassis, bien extrait, comme on dit, et donc d'une bonne concentration, aux tannins assez fermes. Et qui montre éloquemment à quel niveau se situe ce magnifique millésime pour la Bourgogne.

S, 10788831, 30,50 $, *** 1/2, $$$ 1/2, 2008-2012.