Qui ne s'est pas régalé d'un tartare de saumon bien frais, ou d'un authentique tartare de bœuf ou de cheval, de ceux qui font fureur dans les brasseries parisiennes? Cette préparation de viande crue bien relevée, qui exige des ingrédients d'une fraîcheur irréprochable, est d'une grande simplicité à préparer. Elle permet aussi une infinité de variantes, qui mêlent aussi bien le poisson que les fruits ou les légumes.

En France, le tartare fait partie des grandes traditions culinaires, au point où certains cuisiniers de Saint-Tropez ont lancé en 2006 l'Académie du tartare, avec intronisations officielles et concours de recettes. Élevé au rang de grand art par les brasseries parisiennes, ce classique s'est mis à muter récemment en toutes sortes de versions qui mettent en vedette aussi bien la viande que le poisson ou même les fruits et les légumes, sous l'impulsion de chefs audacieux, dont les créations à base de thon ou de saumon ont fait école et été depuis reprises partout en Occident. L'engouement pour le sushi et les aliments crus, de même que la peur de la maladie de la vache folle ne seraient pas étrangers à ces modifications au menu…

Populaire à Québec

À Québec, le Café de la paix a toujours été célèbre pour son tartare de bœuf, tout comme l'Échaudé et le Café du monde, dans le Vieux-Port; dans Saint-Roch, celui du bistro Les bossus fait accourir les habitués et l'on a donné la médaille d'or au tartare de saumon du Café du clocher penché. Le Café Cosmos est un autre établissement fidèle à cette tradition européenne. D'ailleurs, à Québec, le tartare de saumon a la cote dans un grand nombre de restos, sans doute parce que plusieurs Québécois sont encore réticents à grignoter de la viande et des œufs crus. Certains chefs, dont Heinrich Meesen, du Château Laurier, ont profité de la qualité du canard fermier que l'on produit dans la région pour créer de délectables recettes de tartare de canard.

Mais d'où vient le fameux tartare que l'on sert aujourd'hui à toutes les sauces? En cuisine classique, le tartare est une sauce mayonnaise montée aux jaunes d'œufs durs et très relevée en poivre, à laquelle le maître Auguste Escoffier recommandait d'ajouter comme condiments oignon vert ou ciboulette. Les Belges, sous l'impulsion du chef Joseph Niels, auraient eu l'idée de badigeonner du bœuf cru de cette sauce, baptisant la recette «filets américains», allez savoir pourquoi, puisque les Américains détestent la viande crue…

Un rituel à Paris

La première recette codifiée de tartare est apparue dans la version de 1938 du Larousse gastronomique de Prosper Montagné. À Paris, dans certains établissements, la préparation du tartare classique est devenue un rituel quasi religieux. C'est le cas à La Rotonde de Montparnasse, où la viande crue en provenance d'un des meilleurs bouchers de France est préparée à la demande dans une chambre froide où le bœuf est coupé au couteau et garni d'un œuf fermier bien frais. Les clients complètent eux-mêmes l'assaisonnement à table, ajoutant poivre blanc, câpres, tabasco, oignons hachés et huile d'olive au goût.

Extrapolations culinaires

Mais rares sont les chefs français qui s'en tiennent là, élargissant ce thème du tartare pour l'appliquer à une grande variété de produits crus (viande, poisson, crustacés, fruits et légumes) coupés en petits dés (salpicon). Par l'intermédiaire de l'Académie du tartare, ils se lancent ensuite dans des combats de créativité culinaire échevelés : tartare de thon rouge au gingembre, avocat et purée de groseille, de veau aux truffes, de langoustines aux asperges et pamplemousses, tartare de sardines, de tomates et feta, de courgette, de canard ou de fraises et kiwis au romarin. Rien ne vous empêche de suivre les traces de cet engouement pour concocter vos propres créations à la mémoire de Jules Verne… Car tout peut être transformé en tartare… Il suffit d'avoir un bon couteau, des ingrédients crus, frais, et de les hacher en tout petits dés, liés avec huile et condiments.

Une invention de Jules Verne

On attribue à Jules Verne l'invention du tartare, ce qui n'est pas tout à fait exact. Il serait plutôt à l'origine de sa création. Dans son roman et sa pièce de théâtre Michel Strogoff, il s'est inspiré des légendes qui disaient que les guerriers tatars plaçaient des pièces de viande sous la selle de leur cheval pour les attendrir avant de les dévorer crues. Extrapolant, il fit déguster à son héros un plat à base de viande crue, pilée, avec des œufs et des épices. Dès la sortie de la version théâtrale à Paris, les grandes brasseries se sont mises à inscrire le plat à leur menu, avec un succès bœuf...