Tous les jeunes vignerons vous le diront: le plus dur, lorsqu'on se lance dans la production de vin, ce n'est pas cette production comme telle, qui peut être finalement assez simple, c'est d'amener les raisins à parfaite maturité et tirer le maximum du terroir.

Pour bien des héritiers de maisons déjà établies, il y a un autre problème tout aussi grave, et au moins aussi capricieux que la météo: papa!

Ah, papa! Il a toujours raison, c'est bien connu.

En fait, non, justement, il n'a pas toujours raison et cela provoque des débats épiques dans les chaumières entre le paternel et la descendance.

Innovations technologiques obligent, les méthodes de production ont évolué au cours des dernières décennies et continuent d'évoluer.

De plus, le goût des consommateurs change à la faveur de l'ouverture de nouveaux marchés, au gré des modes aussi.

On assiste aussi de plus en plus fréquemment, dans le milieu du vin, à une volonté des nouvelles générations de revenir à l'essentiel, le terroir, et de produire des vins typiques de leur coin de pays, parfois en replantant des cépages indigènes ou typiques arrachés à grand renfort de dessoucheuses industrielles pour faire place à des blockbusters.

Cela ne se fait pas sans heurts, pas plus que le passage vers la biodynamie, une hérésie pour plusieurs «anciens».

En parlant aux vignerons, au fil des dernières années, j'ai souvent remarqué des débats, des tensions, voire de véritables tiraillements entre le père et le fils dont le nom apparaît sur la bouteille. (Plus rarement entre père et fille, tout simplement parce que le milieu du vin, surtout en France, reste une affaire très masculine.)

Sur l'étiquette, les vignerons «père et fils» s'entendent bien, mais dans le chai, quand arrive le temps des assemblages, ou dans la vigne, l'ancien et le moderne se heurtent.

C'est particulièrement vrai en Champagne, où les «jeunots» sont de plus en plus nombreux à épouser le bio et à vouloir réduire le dosage, soit l'ajout du sirop qui apporte du sucre au produit.

Ainsi, on ne trouve presque plus de champagnes «doux», plus sucrés et très populaires dans les années 70 et 80. Les jeunes producteurs champenois recherchent maintenant l'essence du fruit et du terroir et visent le dosage zéro, quand la chose est possible, comme un compositeur musical rechercherait la pureté de la note, dans un ensemble minimaliste.

En dégustation à la maison Drappier, en septembre, la discussion entre le père, André, plus de 80 ans, et le fils, Michel, à propos du dosage et de la disparition des «doux» était presque aussi agitée que les bulles dans nos verres.

«Oh non, du "doux", on n'en fait plus, presque plus personne n'en fait, d'ailleurs, et c'est tant mieux», avait lancé Michel.

«Oui, mais bon, c'est dommage quand même», avait marmonné son vieux paternel.

Dans le cas du dosage, le débat est technique et, à la limite, commercial.

Parfois, on sent clairement que c'est plutôt le manque de confiance qui teinte les relations entre papa et rejeton, ce qui est plus délicat.

Jean-Philippe Delmas, régisseur du légendaire Château Haut-Brion, racontait récemment, lors d'une visite à Montréal, un échange avec son papa, lui-même régisseur en titre à l'époque.

«J'étais sorti dans les vignes et j'avais bien vu, à la maturité précoce des raisins, qu'il était temps de vendanger, et rapidement, a raconté M.Delmas. J'ai appelé mon père qui était à l'étranger pour lui dire qu'il fallait réunir les équipes sans tarder et il m'a dit: oui, oui, Jean-Philippe, tu es bien gentil... Il ne me croyait pas du tout.»

Chaque fois qu'il parlait de son père, M.Delmas levait les yeux au ciel, et lançait une boutade sur les relations tendues entre papa et fiston.

Plus au sud, à Cahors, le jeune vigneron Fabien Jouves a pu compter sur l'appui de ses parents quand il a repris le domaine, mais il sent bien que papa ne comprend pas toujours son désir de revenir au 100% malbec et d'élever des vins de qualité, de prestige parfois même, au lieu de produire du volume pour vente au vrac.

«Non, mes parents ne sont pas toujours d'accord, mais ils m'appuient, ils me suivent», dit Fabien Jouves.