Une chronique sur les vins québécois une fois l'an seulement, me direz-vous? Je vous répondrai que c'est un peu faux, car je saupoudre quelques crus au fil de mes chroniques, de mes recommandations dans La sélection Chartier, tout comme sur mon site internet.

Comme je l'ai déjà dit, le vignoble québécois est parvenu à l'adolescence de son histoire. Et quel bel ado il fait! Depuis quelques années, la qualité générale des crus que l'on y élabore se montre de plus en plus homogène. Et certains vins méritent plus que jamais l'attention des nouveaux amateurs, comme des anciens.

Pour s'en convaincre, il suffit de déguster l'excellent blanc sec Phenix Blanc 2009 (20$; disponible au domaine et dans certains restaurants), élaboré au domaine Vignoble Rivière du Chêne, à Saint-Eustache. Dégusté en primeur sur fûts en juin 2010, ce blanc, à base de vandal-cliche, de vidal et de saint-pépin, a superbement digéré son bois depuis, se montrant maintenant tout en fruit et en chair, en texture et en harmonie d'ensemble. Poire et vanille donnent le ton à ce vin blanc sec, ample, plein et gourmand, aux courbes presque larges et aux saveurs très longues, sur une finale de noix de coco.

Servez-lui des recettes dominées par des ingrédients de la même famille que ses arômes de noix de coco et vanille (lactones), comme le sont la viande de porc, l'abricot, la pêche, la pacane et le scotch. Donc, filets de porc à la salsa de pêche et abricot, pétoncles poêlés, couscous de noix du Brésil à l'orange sanguine, lait de coco au gingembre ou homard rôti à la salsa d'ananas au quatre-épices.

Même chose avec le plus qu'abordable et charmeur William Rouge 2009 (14$; SAQ 743 989), aussi du Vignoble Rivière du Chêne, à mi-chemin entre le style très frais des beaujolais et le profil plus nourri de certains pinots noirs néo-zélandais. Un rouge aux tanins souples, à l'acidité fraîche et au corps modéré, mais marqué par des saveurs expressives, rappelant les fruits rouges (grenadine, cerise au marasquin) et les épices douces, avec une petite pointe torréfiée. Il fait fureur sur des brochettes de poulet teriyaki, tout comme avec une bruschetta à la tapenade de tomates séchées ou un sandwich aux légumes grillés et tapenade de tomates séchées.

La qualité est aussi et à nouveau au rendez-vous, pour le deuxième millésime de suite, chez le rouge Domaine Les Brome «Cuvée Julien» 2008 (16,20$; SAQ 10 680 118). Cette cuvée mérite une mention spéciale pour l'expressivité, l'éclat et la pureté de définition pour son niveau. La couleur est soutenue, le nez très aromatique, engageant et étonnamment mûr, exhalant des touches de fruits rouges, de girofle et de pétale de rose. La bouche suit avec une certaine générosité pour le style, aux tanins fins et mûrs, au corps voluptueux et aux saveurs longues. Finale très fraîche nous rappelant qu'il est tout de même québécois et digeste à souhait!

Enfin, Léon Courville du Domaine Les Brome élabore un rouge plus que singulier dans le paysage québécois. Avec sa cuvée Courville «XP 1» (27$; disponible au domaine et sur le site internet), il s'est amusé à passeriller (sécher) les raisins, pendant trois mois, avant fermentation, comme les Vénitiens le font pour l'amarone, puis à laisser le résultat faire ses classes en barriques de deuxième vin, plus de deux ans.

Il en résulte un vin singulier qui détonne et étonne, positivement. Robe rouge grenat foncé aux reflets orangés, tuilés. Nez modérément aromatique, d'une certaine richesse, marqué par des notes de café, de cacao et de fruits cuits, dénotant une légère oxydation. Bouche ample et voluptueuse, prenante et très fraîche pour le style, aux tanins complètement polis par l'élevage, donc souple à souhait, à l'acidité soutenue, au corps modéré, mais aux saveurs longues, rappelant la cerise macérée à l'eau-de-vie, la purée de dattes fraîches et la boîte à cigare. Un carré d'agneau déglacé au café noir serré, ou tout simplement un très vieux bloc de parmigiano reggiano, avec quelques gouttes de très vieux balsamique de Modene, et le dépaysement est garanti!

François Chartier est l'auteur de l'ouvrage de science aromatique Papilles et molécules, et du livre de recettes Les recettes de Papilles et molécules (éditions La Presse). Suivez-le sur facebook.com/papillesetmolecules

Mes trois coups de coeur québécois

Vidal Vendange Tardive 2009

Québec, Vignoble du marathonien, Havelock, 375 ml

28$ (Disponible au domaine: 450-826-0522) ***$$ MODÉRÉ+

Il faut savoir que ce vin a remporté la grande médaille d'or au All Canadian Wine Championships 2011, le positionnant comme le meilleur vin de dessert au Canada, et ce, devant les vins de glace vendus deux à trois fois le prix. Les juges se sont peut-être un peu emportés, mais il n'en demeure pas moins une référence pour son prix. D'ailleurs, il reste actuellement du tout aussi bon 2008 au domaine. Quant à ce 2009, papaye et litchi explosent littéralement du verre pour vous titiller les narines, mais surtout pour vous donner le goût de le boire! Et quelle belle bouche! Attaque onctueuse, suivie d'une fraîcheur juste, qui bride le sucre juste assez pour donner de l'élan à cet ensemble nourri, expressif et très long. Du bel ouvrage. Cuisinez-lui un tartare de litchis à la cannelle et muscade ou une tarte à la citrouille et au gingembre. D'ailleurs, tous les desserts dominés par le gingembre entrent en synergie aromatique avec ce cru. Plus que jamais une belle porte d'entrée pour se familiariser avec les vins doux de vidal, avant de passer aux «choses plus sérieuses» avec l'excellent, confit et pénétrant Vin de Glace marathonien 2006 (53,75$; SAQ 11 398 317), qui est l'un des grands vins de glace du Canada. marathonien.qc.ca

Phenix Rouge 2009

Québec, Vignoble Rivière du Chêne, Saint-Eustache

21$ (Disponible au domaine et dans de nombreux restaurants) ***$$ CORSÉ

Dégusté en primeur sur fûts en juin 2010, ce rouge québécois, qui est la cuvée prestige de ce très bon domaine, se montrait en juin 2011 tout à fait engageant, complexe et même prenant. Mérite presque trois étoiles et demie. Dans une dégustation à l'aveugle, je défie quiconque de positionner ce rouge au Québec! Quelle mâche et quel éclat de saveurs en bouche! Un vin plein, charnu et volumineux, tout en étant très frais et tannique, sans trop, aux saveurs très longues et passablement mûres, rappelant les fruits noirs, le poivre, l'olive noire et le café. On dirait presque une syrah rhodanienne! Il est pourtant composé des cépages maréchal foch, frontenac, sainte-croix, baco noir, de chaunac, Lucy Kulmann et sabrevois. Réservez-lui des brochettes d'agneau à l'ajowan ou aux baies roses. vignobleriviereduchene.ca

Domaine Les Brome «Vidal» 2009

Québec, Domaine les Brome, Léon Courville, Ville de Lac-Brome

18,05$ (SAQ 10522540) **1/2$1/2 MODÉRÉ+

Pas aussi aromatique et aguicheur que ne l'était le très réussi 2008, mais ce blanc sec est tout à fait gourmand en bouche, presque sucré (sans sucre), rond et texturé, d'une certaine ampleur et longueur. Litchi et agrumes signent cette invitante fin de bouche. Rares sont les vins secs de vidal, par surcroît québécois, à exprimer autant de volume et d'éclat en bouche. Réservez-lui des plats où dominent le litchi, le gingembre ou la rose, ainsi que leurs aliments complémentaires. Original, ce vin d'un jeune domaine, propriété de Léon Courville, ex-PDG de la Banque Nationale, mérite amplement le détour. Et de grâce, ne le servez pas trop froid, vous passeriez à côté de cette bouche débordante de saveurs! domainelesbrome.com