Si le cidre québécois a retrouvé ses lettres de noblesse en s'inspirant du vin, il se diversifie en empruntant volontiers à la créativité débordante du monde brassicole. Bières brassées avec moût de cidre de glace, cidres fermentés dans des fûts qui avaient auparavant accueilli de la bière, les possibilités sont immenses. Et elles ne se limitent pas à ce qui se trouve dans le verre. Elles concernent aussi la façon de le mettre en marché.

Même une cidrerie haut de gamme comme le Clos Saragnat, qui approvisionne les plus grandes tables, a osé la collaboration avec la brasserie Dunham - la Pourquoi Pas?, assemblage au nom évocateur, a été produite à 200 exemplaires il y a deux ans. La cidrerie Cryo, de Mont-Saint-Hilaire, que l'on trouve aussi sur la carte de grands restaurants, a fait la même chose avec la brasserie Harricana au printemps, et elle prépare d'autres collaborations du genre.

«J'ai rencontré le maître brasseur Francis Richer au Festival des bières de Laval il y a quelques années, nous a raconté Hugo Poliquin, propriétaire et maître de chai chez Cryo. Il avait adoré mon mousseux, qui s'est retrouvé sur la carte de la brasserie. Après on s'est mis à discuter de la possibilité de collaborer.»

Le résultat, l'Harricana 1008, est un assemblage de deux moûts de cidre distincts intégrés au coeur du processus de fermentation d'une bière de type saison. À cause de la réglementation en vigueur, les cidreries ne peuvent pas acheter des moûts de bière pour développer des produits originaux, mais ils peuvent emprunter des fûts qui ont servi à la fermentation de la bière. Une expérience que menait justement Hugo Poliquin lors de notre passage à la cidrerie, plus tôt cet été.

«J'ai pris un moût assez semblable à celui que j'utilise pour faire mon cidre mousseux et j'ai démarré la fermentation dans un fût de chêne qui avait été utilisé pour faire vieillir la Porter Baltique de la brasserie Les Trois Mousquetaires», explique Hugo Poliquin.

De leur côté, les gens des Trois Mousquetaires sont partis en février avec les derniers fruits gelés qu'on trouvait encore au sommet des pommiers. Ils en ont tiré une compote concentrée qu'ils ont assemblée à une bière blonde forte. Le mélange fermente à nouveau actuellement en fût grâce aux levures naturelles des pommes.

«Jusqu'à maintenant, ça s'annonce très bien, nous a indiqué le copropriétaire Christian Marcil. Ça devrait se retrouver sur les rayons en février. Si ça va bien, on va très certainement collaborer de nouveau avec Hugo.»

De la bière au cidre

Tout près de chez Cryo, la cidrerie Chemin des Sept, à Saint-Jean-Baptiste-de-Rouville, sur les flancs du mont Rougemont, produit des cidres de fermentation spontanée qui séjournent eux aussi dans des barils qui ont accueilli de la bière.

Cette fois, on parle de la Péché mortel Bourbon de Dieu du Ciel!, et pour cause: le copropriétaire de la cidrerie Étienne Tremblay est encore partenaire de la microbrasserie de Saint-Jérôme. Il affirme que ça fait près de 15 ans qu'il caresse l'idée de faire du cidre. Il a racheté le verger familial de trois hectares il y a six ans et travaille au projet, depuis, en compagnie de son associé Frédéric Le Gall, anciennement du Trou du Diable.

«On est en train de réorienter le verger pour y produire des pommes à cidre. Les pommes du Québec ont une belle acidité, mais il leur manque de structures tanniques et d'amertume. On essaie donc de diversifier nos variétés parce qu'il faut des pommes différentes pour élargir la composition du jus, le rendre plus complexe», indique Étienne Tremblay, copropriétaire de la cidrerie Chemin des Sept.

Photo Martin Chamberland, Archives La Presse

Si le cidre québécois a retrouvé ses lettres de noblesse en s'inspirant du vin, il se diversifie en empruntant volontiers à la créativité débordante du monde brassicole. Bières brassées avec moût de cidre de glace, cidres fermentés dans des fûts qui avaient auparavant accueilli de la bière, les possibilités sont immenses.

Le public québécois, à commencer par les jeunes, semble donc prêt à accueillir des cidres qui détonnent. «C'est l'engouement pour les bières amères comme l'IPA qui a tout changé, a affirmé Hugo Poliquin quand on lui a demandé ce qui avait précipité ce changement. L'amertume est une propriété précise du cidre sec. On veut des choses digestes, plus rafraîchissantes. Le goût pour l'amertume s'est développé et les gens sont de plus en plus friands de nouveauté.»

Des innovations qui suscitent la curiosité

Un point de vue partagé par Étienne Tremblay, qui s'est naturellement tourné vers cette clientèle, notamment en proposant ses produits dans des bouteilles au format et à l'allure inspirés de ce qui se fait de mieux dans le milieu des microbrasseries.

«On s'est adressés à ces gens-là parce que ce sont nos amis et connaissances, mais c'est certainement un bon endroit pour trouver des palais curieux, a-t-il reconnu. On sait qu'il s'agit de gens désireux de découvrir des produits originaux.»

La suite logique pour le cidre est donc des produits plus acides élaborés notamment à partir de pommettes, à la lumière du succès des bières sures, Gose et autres Berliner Weisse.

Des produits que l'on risque de plus en plus de découvrir directement sur place ou à l'occasion d'événements spéciaux au verger, encore une fois à l'image du monde brassicole. Il n'y a pas si longtemps, «imaginer que des gens se déplaceraient en masse jusque chez Dieu du Ciel! à Saint-Jérôme pour acheter de la bière, c'était impensable», soutient Étienne Tremblay. «Notre production 2017 va être vendue en 2019, et on va certainement accueillir les gens chez nous avec une vente à la ferme.»

Photo Martin Chamberland, Archives La Presse

La cidrerie Cryo, de Mont-Saint-Hilaire, que l'on trouve sur la carte de grands restaurants, a démarré une collaboration avec la brasserie Harricana au printemps, et elle en prépare d'autres du genre.