D'olive, de thé, de sureau ou de litchi, les liqueurs de pépé sortent des placards français et se réinventent pour conquérir le monde, portées par la vogue des cocktails et de la mixologie.

L'image surannée des recettes traditionnelles, secret de monastères au ramage exotique, bleu curaçao, rouge cherry ou vert Chartreuse qu'on sirote en digestif, a fait long feu: «À l'étranger, la liqueur c'est d'abord l'ingrédient aromatique pour les cocktails, synonyme de qualité», indique Édith Giffard-Jouanneau, quatrième génération à la tête de la maison Giffard à Avrillé, dans l'ouest de la France.

L'arrière-grand-père, Émile, a démarré l'affaire en 1885 avec sa liqueur de Menthe-Pastille, à base de menthe poivrée. Mais aux Cherry-Select et Parfait Triple-sec (à l'orange) des débuts, s'ajoutent désormais des liqueurs de rose ou de litchis qu'on s'arrache en Asie, du Japon à la Malaisie, ou encore de gingembre, de vanille ou de fleur de sureau, l'une des dernières nées et déjà adoptée dans des bars new-yorkais ou d'Europe du Nord.

Sur deux fronts, la maison cultive autant l'innovation que la tradition: «Plus les liqueurs sont anciennes, plus elles sont à la mode», affirme Édith Giffard-Jouanneau. Elle a d'ailleurs racheté la maison Bigallet dans les Alpes françaises, fondée en 1872 et spécialiste des liqueurs de plantes locales comme le génépi ou la castiglione.

Amertume et tradition

«Quand on les a repris, Bigallet allait arrêter son "China-China", une distillation amère d'écorce d'orange aux épices et quinquina... On la produit aujourd'hui pour les États-Unis où les barmen raffolent de son amertume», explique-t-elle.

«Les recettes traditionnelles et les secrets de famille sont très porteurs. Et l'image du produit fabriqué en France, essentielle», insiste-t-elle.

Une affaire de terroir qui a fait s'envoler de 40% en cinq ans le chiffre d'affaires de la maison et l'a poussée à s'agrandir pour répondre à la demande des États-Unis, la patrie des cocktails.

Car la France reste «LE» pays des liqueurs, avec une cinquantaine d'entreprises souvent familiales qui sortent 89 millions de bouteilles par an pour un chiffre d'affaires total de 500 millions d'euros, dont 53% sont exportés, énonce Jean-Dominique Caseau, président du Syndicat français des liqueurs.

Ce dernier organise le 21 mai la 7e édition du Printemps des liqueurs, une journée portes ouvertes dans une quarantaine de maisons de liqueurs en France (www.printempsdesliqueurs.com), et il est aussi à la tête de la Maison l'Héritier-Guyot à Dijon (centre-est), célèbre pour sa crème de cassis (18 millions de bouteilles par an).

«Les liqueurs sont des ambassadeurs de la qualité française dans le monde entier», souligne M. Caseau. Et «l'évolution des modes de consommation, mondialisés, nous amène à déguster les liqueurs autrement». Ainsi, au Japon, son deuxième marché, la crème de cassis est bue avec le thé.

Infusion tourbée

À Nuits-Saint-Georges, au coeur des grands crus de Bourgogne, Judith Cartron, cinquième génération de la maison du même nom, fait carrément du thé l'ingrédient majuscule de ses dernières créations : des liqueurs de thé noir fumé, thé vert maté ou rooibos, présentées en flacons épurés, qu'on retrouve en infusion tourbée dans les cocktails.

«La mode des cocktails et de la mixologie suscite un regain d'intérêt pour nos produits, c'est un vrai moteur», reconnaît la jeune femme, qui a travaillé avec des spécialistes du thé pour sélectionner les meilleures feuilles, macérées quelques minutes seulement dans l'alcool.

Cartron, qui exporte jusqu'à Dubaï ou en Australie, s'applique à lancer une nouveauté tous les 12 à 18 mois. «Mais les barmen utilisent aussi nos vieilles eaux-de-vie, et même l'absinthe», souligne Judith Cartron. Un retour à la tradition qui l'amène à repenser la présentation de ses bouteilles pour accompagner la tendance.

«Aujourd'hui les gens veulent consommer des produits authentiques et de qualité», renchérit Emmanuel Hanquiez, qui a repris en famille la maison Manguin près d'Avignon.

Avec l'Elissir de Farigoule, concentré de Provence à base de thym et de 65 plantes de garrigue, Manguin travaille aussi la nouveauté, avec deux créations récentes, des liqueurs de clémentine et de citron bergamote, «moins sucrées, à tout juste 100 grammes de sucre par litre d'alcool pour conserver l'appellation liqueur».

Emmanuel Hanquiez a même osé la distillation de l'olive dans l'alambic historique de la maison. «Ça passionne les mixologues qui la servent avec du gin».