Du whisky écossais, fini dans des fûts espagnols, embouteillé dans une cave française par un Belge. Voilà comment on peut décrire les whiskies que Michel Couvreur a développés, jusqu'à sa mort en 2013. Nous avons rencontré son gendre et digne successeur, Cyril Deschamps, qui a profité de son passage à Montréal pour nous raconter l'histoire de la maison.

Le rêve de M. Couvreur était de faire du vin en Bourgogne. Mais les lois françaises de l'époque ne lui rendaient pas les « affaires » faciles. « Lorsque mon beau-père est venu s'installer en Bourgogne en 1951 et qu'il a voulu avoir son chai de négoce et d'éleveur de vins, l'intersyndicale de Bourgogne lui a donné son accord pour le chai en lui interdisant de vendre des vins de Bourgogne sur le sol français », nous a expliqué M. Deschamps.

Futé, le négociant belge s'était alors tourné vers le marché anglais. Rapidement, les riches et célèbres de Londres se sont arraché les grands bourgognes de Michel Couvreur. Sur sa lancée, le persévérant et passionné marchand de bonheur a même réussi à produire ses propres vins dans sa cave de Bouze-lès-Beaune, dans les années 70.

Puis, un jour, sa clientèle de vin lui a réclamé des spiritueux. À peu près au même moment, M. Couvreur rencontrait le propriétaire d'une distillerie dans le Speyside, Glenlivet, qui lui a fait découvrir le whisky. Il a donc décidé de se lancer.

Un brin puriste et idéaliste, l'homme qui venait de troquer le raisin contre le grain a planté dans les Orcades de l'orge « bere », une vieille variété abandonnée pour cause de rendement insuffisant. Au début, il a même fait sa propre distillation, dans les alambics de Glenlivet, pour finalement réaliser que le « scotch », c'était un autre jeu que le vin, une affaire de gros sous. Il a alors décidé de procéder à la manière du négociant de vin qu'il était, puis de devenir embouteilleur indépendant. Il achetait des fûts de scotch de diverses distilleries et les finissait lui-même dans ses caves bourguignonnes.

C'était l'époque où les fûts de xérès et de porto, qui servaient à faire vieillir le whisky, commençaient à se faire rares. Les vins qui donnaient tant de caractère aux grands scotches voyageaient désormais en Grande-Bretagne dans du plastique ou de l'acier. C'est à ce moment-là que les Écossais se sont tournés vers les Américains et leurs millions de fûts de bourbon.

Mais Michel Couvreur, qui croyait fermement que 95 % du goût du whisky venait du fût, était de la vieille école. « Sans grands vins pour imprégner les fûts, il n'y a pas de grands whiskies », affirmait-il. Stratégiquement situé entre l'Écosse et l'Andalousie, le Français d'adoption n'a jamais arrêté d'aller choisir lui-même ses « butts de sherry » en Andalousie, chose que peu de maisons de scotch peuvent encore se permettre. Ainsi, les whiskies Michel Couvreur séjournent presque tous dans ces fûts imprégnés du riche jus des cépages oloroso ou Pedro Ximénez.

Aujourd'hui, la maison Michel Couvreur demeure une petite entreprise familiale, qui emploie trois salariés et produit seulement 50 000 bouteilles par an. La moitié de la production reste en France et l'autre moitié est distribuée dans 25 pays. L'étiquette en coin et le bouchon de cire coulé à la main demeurent la preuve d'une petite production manuelle et artisanale.

Depuis les nouvelles lois régissant la production, l'embouteillage et l'étiquetage du whisky écossais, entrées en vigueur en 2009, les produits de Michel Couvreur ne peuvent plus s'appeler « scotches ». Ils sont désormais considérés comme des whiskies français.

Tant qu'à y être, pourquoi ne pas développer un partenariat avec une distillerie française, puisque les Britanniques ont de moins en moins l'exclusivité de la production de single malts. Cyril Deschamps et le fidèle bras droit de la maison, Jean-Arnaud Frantzen, travaillent aujourd'hui avec une jeune ferme-distillerie des Alpes françaises, biologique de surcroît.

Dans les champs du Domaine des Hautes Glaces pousse de l'orge Vanessa, une variété particulièrement prisée des malteurs et des brasseurs. La maison Michel Couvreur fait préparer son distillat là-bas, puis le vieillit dans ses désormais mythiques caves bourguignonnes, qui ont finalement connu un bien joli destin.

QUELQUES PRODUITS DE LA MAISON MICHEL COUVREUR

Au Québec, nous avons la chance d'avoir accès à plusieurs produits de la maison Michel Couvreur, offerts à la SAQ Signature, qui livre partout au Québec. Voici nos préférés.

MICHEL COUVREUR SINGLE MALT SINGLE CASK 10 ANS (X), 500 ML, 107 $, 47 % ALC./VOL. (12167852)

Nous avons dégusté le 2005-2015, tout droit sorti du fût. Ce single malt bien suave est tout en caramel. On pourrait même aller plus loin et plus pointu en précisant que ça goûte la confiture au lait de chèvre. C'est chaud et épicé. À la SAQ Signature, on trouve présentement le 2003-2013.

PALE SINGLE SINGLE, 700 ML, 139 $, 45 % ALC./VOL. (12500387)

Avec sa robe aux reflets dorés pâles, ce whisky de 13 ans ne fait vraiment pas son âge. C'est que le single malt, issu d'un seul fût (single cask), a été vieilli dans des barriques de troisième, voire de quatrième passage, donc très peu imprégnées de xérès. On ne tire que 1000 bouteilles par fût. Cyril Deschamps qualifie le Pale single single de « Chablis des whiskies ». Il est en effet bien nerveux en bouche, avec des arômes floraux et fruités, surtout de la poire.

BLOSSOMING AULD SHERRIED, 700 ML, 287 $, 45 % ALC./VOL. (11771994)

À 287 $, vous n'irez pas l'acheter en courant, mais si vous en avez la chance, plongez le nez dans un verre de ce single malt. Vous aurez l'impression de humer non pas un whisky, mais un xérès bien doux. Élevé pendant 17 ans dans un fût de Pedro Ximénez, il est resté fortement marqué par les arômes de fruits secs et d'épices. En bouche, c'est fruité, mielleux, gourmand. Pour ceux et celles qui aiment le xérès (presque) autant que le whisky !