Les vins du Bourguignon Henri Jayer ont beau atteindre 15 000 euros (22 000 $) la bouteille dans le classement du Wine Searcher, dépassant la fameuse Romanée-Conti, son neveu Emmanuel Rouget refuse de céder aux sirènes de la spéculation.

«Pour le nom, c'est très bien mais je trouve ça très dangereux et quelque part ridicule. Mettre ce prix-là dans des bouteilles de vin, c'est un compte en banque au final. C'est un peu dommage, on ne saura jamais si elles sont bonnes ou pas», estime-t-il tandis que les vendanges battent leur plein sur les 9,3 hectares du domaine familial.

Sur la table de tri, seules les grappes à maturité optimale et sans défaut rejoignent la cuve. Elles sont ensuite éraflées - les grains de raisin sont séparés de la rafle, la tige verte - mécaniquement avant d'être versées dans une cuve en ciment.

Puis vient une des marques de fabrique héritée d'Henri Jayer: la macération à froid à l'aide de glace carbonique, qui donne à la cuve des allures de chaudron de sorcière en ébullition.

Considéré comme un «précurseur», Henri Jayer, décédé en 2006 à 84 ans, a inventé cette technique qui donne «de la couleur au vin» et «renforce les notes aromatiques», explique Emmanuel Rouget, 57 ans, l'allure robuste. Le légendaire vigneron défendait aussi l'éraflage afin d'éviter les notes herbacées «qui gâchent la pureté du pinot».

Après avoir travaillé une quinzaine d'années avec son oncle, M. Rouget a progressivement pris sa succession. Celle-ci s'est «très bien passée» même si «se faire un nom derrière Henri Jayer a été très compliqué», avoue-t-il.

«La nature, c'est ton patron»

«Il m'a transmis une chose très importante: la patience avec la nature», se souvient le vigneron. «Mon oncle disait toujours: «la nature, c'est ton patron, il faut la respecter»». «Faire du vin, ce n'est pas une recette de cuisine avec les trucs de la grand-mère ou de la mère qu'on ne dira jamais. La transmission du vin, c'est la transmission du goût», ajoute-t-il.

Pour le fils de M. Rouget, Guillaume, 23 ans, qui s'apprête à son tour à reprendre avec son frère aîné les rênes du domaine, les «quelques notions» apprises enfant auprès d'Henri Jayer restent aussi gravées. «À 8 ans, j'ai demandé pourquoi on éraflait pendant les vendanges, il m'a dit: «Croque dans une rafle». J'ai fait la gueule et il m'a dit: «Tu vois, c'est dégueulasse, c'est pour ça qu'on ne la met pas dans le vin»», raconte-t-il.

Deux vins de M. Jayer se sont placés sur le podium du dernier classement du site en ligne spécialisé Wine Searcher des «50 vins les plus chers au monde», publié en août. En tête, devant la Romanée-Conti, son Richebourg Grand Cru, en Côtes-de-Nuits, avec une cote à 15 195 $ la bouteille de 75 cl; et à la troisième place, son Cros-Parantoux à 8832 $.

Pour Guillaume Rouget, si la rareté joue beaucoup dans l'envolée des prix des vins de son grand-oncle, il y a aussi un côté «magique». Pour le Cros-Parantoux, produit sur à peine plus d'un hectare classé Premier Cru en 1978, «il a eu le feeling: il a trouvé la parcelle qu'il a défrichée pendant 5 à 10 ans, à la pelle et à la pioche, et il a su la révéler», s'émerveille encore le jeune homme.

«Aujourd'hui, s'il voyait le prix, je ne sais pas quelle serait sa réaction. Je pense qu'il serait content par rapport au travail accompli mais il dirait peut-être que c'est trop cher et que c'est n'importe quoi.»

De son côté, le copropriétaire du vignoble Romanée-Conti, Aubert de Villaine, assure rester de marbre devant «ces prix d'enchères qui sont très liés à la rareté». «Le classement par le prix est sans signification. La Romanée-Conti est classée comme Grand Cru, son classement c'est ça.»