Le millésime 2013 des vins de Bordeaux, caractérisé par une météo capricieuse et des volumes en baisse, est apprécié lors de la semaine à venir des primeurs par des professionnels du monde entier qui jugeront de sa qualité avant que les propriétés ne fixent leur prix de vente.

Depuis les millésimes dits «exceptionnels» de 2009 et 2010, le vignoble bordelais s'apprête à commercialiser une troisième récolte consécutive chastement qualifiée «d'hétérogène». Car les conditions climatiques du 2013, avec une floraison contrariée et des vendanges au milieu d'un automne pluvieux, semblent inscrire ce millésime dans la lignée de ses prédécesseurs en 2011 et 2012, de qualité disparate et à boire jeune.

«2013 est vraiment dans l'esprit bordelais, équilibré et bien fait ce qui est l'apanage des vins des Bordeaux. Mais ce n'est pas un 2009 ou 2010, c'est clair», relève Patrick Bernard, président fondateur de l'enseigne de négoce Millésima, un des leaders de la vente aux particuliers. «Il faut des grands millésimes mais il faut 20 ans avant de les boire. Il faut donc des millésimes intermédiaires», a-t-il dit.

Au Château Cantenac Brown, un Margaux troisième grand cru dans le classement de 1855, «le faible volume de récolte fut un mal pour un bien et les raisins peu nombreux aux grappes aérées ont tiré parti au mieux de ces conditions difficiles. C'est partiellement ce qui a sauvé le millésime».

«C'est plutôt une bonne surprise par rapport à ce que l'on attendait et il y a de très bons vins», souligne pour sa part le courtier spécialisé en grands crus, François Lévêque, pour lequel «même dans les millésimes compliqués Bordeaux arrive à faire de la qualité».

Pour le consultant de propriétés Stéphane Derenoncourt, «le 2013 est intéressant car il n'a pas de caractère végétatif, de goût de poivron ou d'herbe tondue. Il est très aromatique et a seulement un problème de structure». Il estime que certains terroirs argileux en Pomerol, Saint-Emilion, Pessac-Léognan et du Nord Médoc ont été «privilégiés» et que le facteur chance aura été important lors des orages qui ont arrosé inégalement le vignoble.

Baisse de qualité donc baisse de prix?

Jusqu'à jeudi, 6.000 professionnels du monde entier sont invités pour la dégustation en primeur dans une trentaine de lieux dispersés sur tout le vignoble bordelais. Ils dégusteront les quelques 200 crus les plus prestigieux et ceux des différentes appellations du Bordelais et, en fonction de leurs notes d'appréciation, ils disperseront leurs commandes au négoce bordelais qui a la quasi-exclusivité d'achats auprès des propriétés.

L'intérêt des primeurs, système unique au monde, est pour un propriétaire d'enrichir sa trésorerie en vendant un vin qui ne sera à la disposition du client que dans deux ans. Et, pour le client final, ce système lui permet d'acheter aujourd'hui des vins à des prix plus faibles que ceux qui seront pratiqués lors de la mise sur le marché en 2015.

Les spéculations vont déjà bon train pour estimer si les propriétés vont, à l'issue de cette semaine des primeurs, appliquer une baisse d'environ 20% réclamée par le négoce. A titre indicatif, le Château Pontet-Canet, 5ème grand cru classé 1855 de Pauillac, a annoncé son prix primeur 2013 identique au 2012, à 67,40 euros.

«L'achat en primeur est basé sur le partage entre toute la filière; le producteur, le négociant, l'importateur, le grossiste, le détaillant et le consommateur. Il faut un peu de marge pour chacun», esquisse le négociant Patrick Bernard, car, selon lui, «acheter du vin sans possibilité de plus-value n'est pas bon».

«Il faut penser au consommateur. Le manque de volume ou la grêle ce n'est pas son problème», estime Stéphane Derenoncourt pour lequel «il faut une baisse des prix quand il y a baisse de qualité» car, d'après lui, «le 2012 se révèle aujourd'hui très bon».

Toutefois, «il sera difficile pour les propriétés de baisser significativement les prix en raison de la faible récolte et du tri sélectif effectué lors des vendanges», estime le courtier. «On aurait eu du volume, les prix auraient baissé plus facilement», mais «il y aura 30% de vin en moins mis sur le marché par rapport à 2012».

De plus, la demande de Bordeaux est en baisse sur le marché asiatique, notamment en Chine (-18% en 2013), jusqu'à présent une locomotive pour les exportations de vin français.