Des viticulteurs nippons s'attaquent au «monstre saké» en produisant une pléiade de vins locaux. Dégustation.

Soleil de plomb, cigales chantantes, fragrance de vignes...

Pour un peu, vous jureriez avoir posé vos valises en Provence. Mais vous seriez complètement dans les patates. Ou plutôt: dans les raisins. Car nous voici à Katsunuma, modeste village viticole enraciné au pied du mont Fuji, dans la préfecture de Yamanashi. Ici, à deux heures de route à peine de la cacophonie tokyoïte, une trentaine de vignobles s'évertuent, paisiblement, à façonner un véritable éventail de vins, blancs comme rouges. Un défi de taille, relevé depuis plus d'un demi-siècle par des artisans de la grappe confrontés à de nombreux pépins.

Principal obstacle: l'humidité et les aléas du ciel, alternant averses abondantes et chaleur accablante. Bref, des conditions bien moins propices qu'un soleil californien ou bordelais. Mais il en faudra davantage pour décourager les viticulteurs. «Quand j'ai constaté que le Canada produisait du vin malgré son climat rigoureux, je me suis dit qu'il était possible d'en faire autant au Japon», clame la vigneronne Toshiko Shoji, qui a fait ses gammes... dans la vallée d'Okanagan, en Colombie-Britannique. Aujourd'hui, son vignoble Shirayuri produit plus de 1500 hectolitres annuels.

«L'un des problèmes majeurs est l'apparition de maladies dues aux précipitations», souligne Shigekazu Misawa, propriétaire de Grace, une importante production familiale de la région. «Nous devons favoriser l'aération des plantations, et les couvrir de bâches en plastique.»

Particulièrement sensibles, Chardonnay, Merlot et autres cépages importés doivent être protégés. Ainsi, les grappes se retrouvent curieusement affublées d'un ustensile très prisé des Japonaises: des ombrelles !

Le Koshu, une coche au-dessus

Une variété se passe toutefois de parapluie. Le Koshu. Malgré l'apparente délicatesse de sa peau rosâtre, c'est un dur de dur. Normal: cultivé depuis un millénaire au Japon, il s'est parfaitement adapté au climat, devenant le fer de lance du vin blanc nippon. «Il est très résistant. Aussi, on peut y retrouver le caractère du terroir, avec des arômes citronnés ou d'agrumes japonais, tels que le kabosu, une sorte de citron vert», affirme (en français, s'il vous plaît) Takahiko Nozawa, du vignoble Yamanashi Wine.

Unanimes, les producteurs recommandent d'accompagner poissons crus et sushis d'un zeste de Koshu.

Autre particularité de ce cépage autochtone, il doit être monté en treillis, soit sous forme de toitures, et suspendu à plus d'un mètre du sol. «C'est une disposition traditionnelle japonaise, car les rangées à l'européenne ne lui conviennent pas, il prolifère trop», rapporte M. Nozawa. Résultat : le village semble entièrement drapé de vignes, panorama pittoresque...

Mais là où le bât blesse, c'est lorsque l'on passe à la caisse. Certes, le vin, c'est du temps; mais c'est aussi de l'argent. Et les viticulteurs japonais peinent à s'aligner sur les prix de la concurrence. «Les exploitations sont petites, morcelées et onéreuses, explique Mme Shoji. De plus, nous ne pouvons avoir recours à une main-d'oeuvre bon marché, comme le font les Américains en employant des travailleurs mexicains.»

En outre, les consommateurs nippons, eux-mêmes peu au fait de leurs propres vins, sont encore plutôt versés à boire saké et autres shochu (eau-de-vie japonaise).

Mûr pour l'exportation

Alors, puisqu'il rame sur le marché local, le Koshu met les voiles. Pour l'y aider, une association de promotion internationale du cépage, Koshu of Japan, vient d'être fondée. Sous sa coupe, une quinzaine de vignobles de Yamanashi. Après de timides incursions en Asie et en Australie, le vin du Soleil Levant se retrouve désormais en Europe, perçant une première brèche majeure à Londres, l'été dernier. «Nous comptons beaucoup sur le Koshu, car nous sommes les seuls à proposer ce cépage japonais», croit M. Misawa, président du regroupement. Avoir foi en son raisin lui donne raison: certains crus de Koshu ont été primés, cette année même, dans le cadre de concours internationaux.

Les Québécois devront cependant faire le pied de grue avant de pouvoir goûter au fruit de ces pieds de vigne, qui n'a pas encore franchi le seuil de la SAQ.

Voyez-y plutôt un excellent prétexte pour voler vers l'archipel. Point de chute idéal pour les dégustations, la Cave de Katsunuma où, moyennant un millier de yens (environ 12$), on peut se délecter à volonté d'une centaine de vins locaux.

Le tout sur fond d'un spectacle sans prix: le crépuscule bordant ce berceau viticole méconnu dans ses draps de vignes.