Après avoir contribué aux succès de la biathlonienne Tora Berger, numéro un mondiale, le Québécois Nicolas Lemyre est le nouveau psychologue sportif de l'équipe masculine norvégienne de ski de fond. Un retour aux sources pour cet ancien fondeur du Centre national d'entraînement Pierre-Harvey. La Presse l'a rencontré dans le cadre des Championnats du monde de Val di Fiemme.

On se serait cru dans la salle de conférence du Centre Bell à quelques minutes de l'annonce du congédiement de l'entraîneur-chef. Une soixantaine de journalistes et de photographes, la plupart scandinaves, s'activaient frénétiquement, branchaient leur micro ou ajustaient leur caméra.

Marit Bjoergen, Therese Johaug, Heidi Weng et Kristin Steira, qui avaient terminé précisément dans cet ordre lors du skiathlon de samedi, sont arrivées sous les flashes en souriant et en plaisantant, visiblement rompues à l'exercice. Ce n'était finalement qu'un point de presse pré-course des quatre fondeuses de l'équipe de Norvège.

Ça se passait lundi matin à l'hôtel de l'équipe, à Castello-Molina, à cinq kilomètres du stade des Championnats du monde de Val di Fiemme. Dans un coin de la salle, spécialement aménagée pour les médias, un studio de NRK, la télé nationale, qui diffuse une émission d'une heure chaque soir en direct.

Le ski de fond est une affaire sérieuse, en Norvège. L'entrée principale de l'hôtel est surveillée en permanence et il faut montrer patte blanche pour y pénétrer. C'est pourquoi Nicolas Lemyre a dû me rejoindre à l'extérieur.

Manteau rouge sur les épaules, tuque Norge sur la tête, il est le psychologue sportif de l'équipe masculine de ski de fond. Voyant mon étonnement devant le nombre de médias présents en ce petit lundi matin floconneux, il précise: «C'est encore plus gros quand ce sont les hommes...»

Quelques jours plus tôt, à une heure du départ du skiathlon, j'avais rencontré Lemyre une première fois près du gros camion d'équipe, qui sert de salle de fartage mobile. Micro à l'oreille, il échangeait en norvégien avec les entraîneurs, la plupart d'ex-légendes du sport.

Après une quinzaine de minutes de discussions, j'ai compris que je devais quitter les lieux. «Ils commencent à être stressés», a glissé le psychologue de 40 ans, qui s'apprêtait à aller se positionner sur le parcours, bâtons à la main.

Sa présence aux Mondiaux de ski de fond est un retour aux sources. Professeur à l'Université des sports d'Oslo, Lemyre fut l'un des membres originaux du Centre national d'entraînement Pierre-Harvey, au mont Sainte-Anne, au début des années 90.

Le psychologue de 40 ans souligne la forte présence de cette cuvée à Val di Fiemme. Il y a Yves Bilodeau, technicien-chef de l'équipe canadienne, un modèle à l'époque. «Il nous faisait voir ce qu'on était pour rencontrer en Europe.» Sasha Bergeron, lui aussi technicien canadien, avec qui Lemyre a déjà habité. L'athlète olympique Guido Visser est pour sa part entraîneur de sa femme, Jacqueline Mourao, dans l'équipe du Brésil.

Sans oublier Mireille Belzile et Pierre Harvey, les parents d'Alex, qui siégeaient au conseil d'administration. La Dre Belzile est médecin de l'équipe canadienne, tandis que Pierre assiste aux compétitions après avoir participé à la Coupe du monde des maîtres à Asiago, en Italie. Il a fini quatrième du 45 km classique.

Après avoir terminé un baccalauréat à l'Université St. Lawrence, dans l'État de New York, où il a concouru sur le circuit de la NCAA, Lemyre est parti en Norvège en 1996, à l'âge de 24 ans. Il voulait affronter les meilleurs dans l'espoir de se qualifier pour les Jeux olympiques de Nagano. Ça n'a pas fonctionné... mais il n'est jamais reparti d'Oslo.

Après une maîtrise et un doctorat, Lemyre est devenu professeur à l'Université des sports, où il a été directeur de département pendant quatre ans. L'université jouxte Olympiatoppen, un centre de haute performance sur lequel le Canada a en partie modelé son organisme À nous le Podium. Là-bas, il a côtoyé plusieurs des meilleurs athlètes, entraîneurs et spécialistes norvégiens.

Psychologue de l'équipe féminine de biathlon, il a établi une relation de travail étroite avec Tora Berger, qui était abonnée aux quatrièmes places. Cette dernière a remercié son psychologue québécois dans les médias après sa conquête d'une médaille d'or aux JO de Vancouver.

Élue personnalité sportive de l'année en 2012, devant de grosses pointures comme Bjoergen ou le skieur Aksel Lund Svindal, Berger domine encore davantage son sujet cette saison. Première à tous les classements de la Coupe du monde, elle a réalisé une récolte historique aux récents Mondiaux de Nove Mesto, raflant quatre médailles d'or et deux d'argent en six courses.

Lemyre, qui l'accompagnait en République tchèque, en est encore soufflé. «En Amérique du Nord, ce serait l'équivalent d'avoir travaillé avec les Red Wings de Detroit quand ils ont perdu 10 matchs et gagné la Coupe Stanley, illustre-t-il. Ça ne repasse jamais en 100 ans. Pour un entraîneur ou un psychologue sportif, c'est sûr que c'est une expérience privilégiée aussi, parce qu'on voit l'exécution au plus haut niveau à plusieurs reprises pendant une saison. Ça va me suivre pour le reste de ma carrière.»

Sjur Roethe, médaillé de bronze du skiathlon samedi, pourrait suivre une trajectoire semblable, croit Lemyre. L'athlète de 24 ans n'est pas sorti une seule fois du top 10 en sept courses cette saison. «À mes yeux, c'est quasiment un plus grand accomplissement que sa médaille. S'il est capable de se stabiliser entre deuxième et dixième, quand il va commencer à gagner, ce sera peut-être plus facile de monter sur le podium régulièrement. Ça demande un apprentissage.»

Lemyre, lui, fait le sien dans la prestigieuse équipe de fondeurs. L'intégration se fait en douceur, dit-il. Déjà, il connaissait bien les jumeaux Trond et Knut Nystad, respectivement entraîneur-chef masculin et chef des farteurs, pour les avoir côtoyés sur le circuit de la NCAA.

Pour s'intégrer, il fait sien un précepte de la culture norvégienne qu'il traduit par «humilité». «On n'arrive pas en imposant ses idées, explique Lemyre. Ici, ce qui compte, ce n'est pas la langue et l'origine, c'est la culture du ski de fond. Pourvu qu'on la partage et qu'on est ouvert à ce qu'ils nous montrent. Tout le monde est passionné dans cette équipe-là.» En incluant le psy québécois.

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IL VOUE UN GRAND RESPECT À ALEX HARVEY

VAL DI FIEMME - Le psychologue sportif Nicolas Lemyre se sent-il plus canadien ou norvégien aux Mondiaux de Val di Fiemme?

«C'est sûr qu'on est tellement proche de l'équipe et des athlètes avec qui on travaille tous les jours, répond-il après quelques secondes d'hésitation. Mais je suis avec beaucoup d'intérêt les Canadiens. Peut-être plus Alex (Harvey) parce qu'il est québécois et qu'il vient de Saint-Ferréol. C'est plus comme un ami de la famille du ski de fond québécois.»

Les exploits d'Harvey ne passent pas inaperçus en Norvège. «Les gens ont beaucoup de respect pour lui, soutient Lemyre. C'est quand même impressionnant, un Canadien qui gagne la médaille d'or à Oslo [au relais en 2011] et, maintenant, une médaille individuelle ici. Ça n'a jamais été fait avant. Très peu de gens gagnent une médaille individuelle. Ça le met dans une classe à part.»

En plus de ses rôles de psychologue sportif des équipes féminine de biathlon et masculine de ski de fond de Norvège, Lemyre est le directeur d'un nouveau centre de recherche sur l'entraînement et la performance. Disposant d'un budget annuel de 2,2 millions, financé par le ministère de la Culture, les fédérations sportives et le comité olympique norvégien, le centre multidisciplinaire concentre ses efforts sur le développement de la performance chez les jeunes de 13 à 20 ans.

«On travaille sur le rôle de l'entraîneur, quelles aptitudes les jeunes doivent développer et à quel âge, détaille le psychologue. L'autre partie du mandat est de trouver comment on peut garder les jeunes qui s'impliquent dans le sport fédéré le plus longtemps possible. Comme au Canada, beaucoup de jeunes arrêtent le sport à l'adolescence.»

Père de trois jeunes enfants nés à Oslo, Lemyre ne dirait pas non à un retour au Canada. «S'il y avait un défi à la hauteur de mes compétences, ce serait vraiment le fun.»