Des employés installaient une petite patinoire aux abords du lac Louise enneigé, hier midi. Observant la scène de l'autre côté de la vitrine d'un restaurant du Château, Erik Guay a eu un flash: «J'ai vraiment hâte de jouer au hockey!»

À ce moment-là, il aurait dû se trouver en haut de la piste, dossard no 5 sur les épaules et skis aux pieds, prêt à prendre le départ du deuxième entraînement de descente de la Coupe du monde de ski alpin.

Il savait depuis la veille qu'il n'y serait pas. Sa décision était prise. Il ne voyait plus la logique de plonger sur une pente glacée à 130 km/h si c'était pour finir 30e, voire dans les filets de sécurité comme son ami Manuel Osborne-Paradis, qui s'était fracturé le tibia et le péroné lors du premier entraînement, mercredi.

S'il s'était alors écouté, Guay serait descendu dans le télésiège plutôt que de bondir du portillon avec la peur au ventre. Il s'est rendu sans mal au bas de la Men's Olympic Downhill, mais avec le sentiment de plus en plus prégnant qu'il était au bout de la route.

«Je l'ai vu dans ses yeux», dira la préparatrice physique de l'équipe canadienne, Agneta Platter, qui parcourt le circuit depuis un quart de siècle.

Guay ne voulait pas se décider sur le coup de l'émotion. Après avoir fait part de son ambivalence à La Presse, il s'est rendu en fin d'après-midi dans sa chambre au Château Lake Louise, où il a réfléchi une bonne heure à son avenir.

Puis, il a appelé sa femme Karen à Mont-Tremblant pour lui annoncer qu'il prenait sa retraite. La semaine dernière, alors qu'il était au plus creux quand son jeune coéquipier Broderick Thompson s'était aussi blessé sérieusement, celle-ci l'avait encouragé à se donner un peu plus de temps. Cette fois, il n'y a pas eu de discussion. Elle l'a simplement soutenu dans son choix.

Guay a ensuite demandé à son jeune frère Stefan de le rejoindre dans sa chambre. Entraîneur dans l'équipe canadienne, il savait ce que son aîné se préparait à lui dire.

Burkhard Schaffer, l'entraîneur autrichien avec qui Guay a connu ses plus beaux succès, a eu la même réaction quand son protégé l'a pris à part à la conclusion de la réunion d'équipe, mercredi soir. Il lui a dit qu'il n'avait pas besoin de parler, qu'il comprenait ce qu'il voulait lui annoncer. Le skieur de Mont-Tremblant a quitté la salle en marchant avec l'autre coach Serge Dugas, le vieux loup qui l'accompagne sans relâche depuis 13 ans.

Avec le technicien Bernd Fetz, le petit groupe s'est retrouvé en soirée pour manger et boire quelques bières à l'événement des bénévoles. En rentrant, Guay a appelé chez ses parents à Mont-Tremblant, mais il est tombé sur la messagerie vocale.

Vers minuit, il a eu Osborne-Paradis au téléphone. Le Britanno-Colombien était à l'hôpital à Calgary et ne dormait pas à cause de la douleur. Le joyeux drille a dit que l'une des premières choses auxquelles il avait pensé en se cassant la jambe, c'était son coéquipier qui se morfondrait en haut...

Serein et soulagé, Guay a très bien dormi. «Je me sens bien, je me sens mieux, je me sens libéré un peu!», a lâché l'homme de 37 ans au moment de donner sa première entrevue de futur retraité, dans un restaurant vide du Château, sur l'heure du midi.

En matinée, il avait partagé la nouvelle avec ses autres coéquipiers et son ami Julien Cousineau, parti à la retraite en 2015. Il a enfin joint ses parents. Son père Conrad, son premier coach, lui a simplement dit qu'il prenait la bonne décision. Sa mère Ellen, sa première monitrice quand il avait 18 mois, lui a fait écho.

«Je pense qu'ils sont contents eux aussi, a souligné Guay. C'est dur de voir ton fils descendre, passer à travers des opérations, des chirurgies, des problèmes de dos.»

Après qu'il a été témoin des accidents d'Osborne-Paradis et de Thompson, l'idée de devoir se soumettre à une nouvelle période de rééducation a pesé lourd dans la balance. «J'aurais tellement trouvé ça dur sur le moral. Et je m'en serais voulu d'avoir essayé de pousser aussi longtemps. C'est pour ça que je me sens si bien et que je n'ai aucun regret.»

Son incapacité à retrouver sa vitesse d'antan a aussi été un facteur déterminant. Son dos récalcitrant, qui lui a fait rater les derniers Jeux olympiques, à PyeongChang, ne voulait plus coopérer. «Ça m'empêche d'aller chercher les angles que je veux vraiment, a-t-il expliqué. À cause de ça, je ne peux plus aller chercher les temps que je veux. Et si je ne peux pas aller chercher les temps, ça ne vaut plus la peine.»

Son désir de retrouver les siens est peut-être l'élément qui a le plus contribué à le pousser vers la retraite. Le père de quatre filles âgées de 1 à 10 ans n'en pouvait plus de ne revenir à la maison que pour quelques jours, avec la crainte que son dos ne se coince de nouveau et la pression de ne pas rater une journée au gym.

Ses projets d'avenir sont encore flous, mais il restera assurément engagé dans le ski, d'abord auprès de ses filles dont l'aînée a déjà commencé la compétition, mais aussi de la fédération canadienne, dont il veut contribuer au développement.

Comme promis, Guay n'a pas versé dans l'émotion au moment d'officialiser sa retraite lors d'une conférence de presse tenue en milieu d'après-midi au chalet de la station.

Son frère Stefan, ancien champion mondial junior dont la carrière a été brusquement stoppée par une blessure qui le fait toujours souffrir, ne cachait pas sa tristesse.

«C'est un gros morceau du sport au Canada qui part, a-t-il résumé, ému. Mais je suis vraiment content parce qu'il termine sa carrière quand même en bonne santé. Il pourra skier tous les jours avec ses filles et faire toutes les activités qu'il aime. C'est quand même spécial d'avoir eu une aussi longue carrière, d'avoir surmonté autant de blessures et de la conclure selon ses propres termes. Je suis fier de lui.»

Guay prévoit enfiler un dossard pour la dernière fois dimanche alors qu'il disputera le super-G, une course en forme d'au revoir où il s'arrêtera pour saluer entraîneurs et bénévoles.

Lundi, il rentrera dans ses terres et déposera son sac pour de bon. Il veut trouver au plus tôt une équipe dans une ligue de garage, mais il sait déjà ce qu'il fera mardi: du ski avec ses filles à Mont-Tremblant. «Ça a l'air que c'est super beau en ce moment...»

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Erik Guay vu par...

Alex Harvey (ski de fond)

«Pour moi, Erik, c'est un des plus grands athlètes en sport d'hiver. Un globe de cristal et deux fois champion du monde, c'est énorme comme exploit dans son sport. Il a aussi toujours eu énormément de classe tout au long de sa carrière. Il a été très inspirant pour moi personnellement. Je comprends tout de même sa décision. Dans son sport, la marge d'erreur est à peu près nulle et avec quatre filles et une femme à Tremblant qui l'attendent, il faut être à 100% physiquement et dans la tête pour avoir une chance de jouer au sommet du classement.» 

Mikaël Kingsbury (ski acrobatique)

«J'ai eu la chance de la côtoyer beaucoup via B2DIX. On a le même entraîneur physique, Scott Livingston, et j'ai eu la chance de m'entraîner avec lui. Même si ce n'est pas la même discipline que moi, c'est motivant de s'entraîner avec un gars comme lui. Avant de le connaître, il était un modèle pour moi. Je le regardais à la télévision avant de devenir, moi-même, un skieur en Coupe du monde. C'est vraiment un bon gars. J'aime avoir des conversations avec lui. On a pu échanger sur certaines petites choses techniques à travers les années. C'est une bonne personne qui a les valeurs au bon endroit, qui ne se prend pas pour un autre. Il veut le succès des autres autour de lui. Il s'entraîne fort et c'est un exemple de détermination. Malgré les blessures, il revenait toujours fort. Il va manquer au Canada.»

Maxime Dufour-Lapointe (ski acrobatique)

«Erik Guay est tellement un pilier dans le monde du ski au Canada. C'est l'idole de tellement de jeunes, il a connu une belle et longue carrière. Quand vient le moment d'accrocher les skis, c'est toujours plein d'émotions. C'est intense. Quand j'ai annoncé ma retraite, je me sentais prête à le faire, j'imagine que c'est le cas pour lui aussi. Reste qu'il y a un fort sentiment qui vient avec cette annonce. Tout se confirme. C'est une grande partie de nous qui s'en va. On ferme un livre, on passe à de nouveaux défis. C'est important de bien faire nos au revoir. Mais on a fait ça tellement longtemps, je suis sûr qu'on va rester des skieurs passionnés toute notre vie.»

Marianne St-Gelais (patinage de vitesse courte piste)

«C'est un grand. Pour avoir été athlète, je lui lève mon chapeau, d'avoir fait ce qu'il a fait. Ce n'est pas évident, dans son sport. Les risques de blessures sont de 99,9%. Aussi parce qu'il est plus âgé, et je ne suis pas en train de le vieillir, mais être encore performant plus tard dans ta carrière, c'est incroyable. Il a des titres de champion du monde, un globe de cristal, et il était plus âgé. Être encore au sommet dans ton sport à cet âge-là, sans oublier qu'il a quatre enfants, ça me dépasse. C'est un grand. On peut s'inspirer d'un gars comme lui.»

- Propos recueillis par Jean-François Tremblay

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Une grande carrière en cinq temps

Palmarès impressionnant

Inspiré par les Crazy Canucks, Erik Guay détient le palmarès le plus riche de l'histoire du ski alpin canadien avec 25 podiums de Coupe du monde, dont cinq victoires, un globe de cristal remis au meneur du classement du super-G (2011) et trois médailles en championnats du monde: l'or en descente à Garmisch-Partenkirchen en 2011, ainsi que l'or en super-G et l'argent en descente à Saint-Moritz en 2011. Au total, il a fait 231 départs dans le Cirque blanc, le premier à Val d'Isère en 2000.

Premier podium

À 22 ans, il décroche le premier podium de sa carrière, une deuxième place à la descente de Lake Louise, en novembre 2003. «Quand tu es jeune, tu as envie d'aller vite et tu te fous des risques. Dans ce temps-là, je m'en foutais complètement et je poussais la limite. Je skiais aussi pas mal moins bien que je le fais maintenant. J'avais fini juste derrière Michael Walchhofer et devant Hermann Maier et Kjetil Andre Aamodt, les grands noms. C'était vraiment quelque chose!» Deux semaines plus tard, il se blesse gravement à un genou lors d'une descente d'entraînement à Val Gardena, en Italie. Il attendra trois ans avant de remonter sur le podium.

Première victoire

Le 24 février 2007, au lendemain d'une troisième place au même endroit, il obtient la première victoire de sa carrière en Coupe du monde à la descente de Garmisch-Partenkirchen, en Allemagne. «J'étais motivé, dans ma zone, tu le sens un peu à l'avance quand ça va super bien comme ça. Il n'était pas question que quelqu'un me batte cette journée-là. Même si je partais plus loin et que le parcours avait beaucoup ralenti. Je suis vraiment allé la chercher, celle-là.»

Champion du monde

Après un titre-surprise en descente aux Mondiaux de 2011, Guay signe son chef-d'oeuvre avec deux médailles aux Mondiaux de Saint-Moritz en 2017, dont l'or au super-G. À 35 ans, il devient le plus vieux champion mondial de l'histoire. Quelques semaines plus tôt, il avait subi une terrible chute à Garmisch. «Quand tu es dedans, tu es dedans. Même un gros crash comme ça ne t'affecte pas. C'est plus motivant qu'autre chose. Je suis tombé à Garmisch seulement parce que j'étais compétitif et que j'attaquais. Aussitôt que je me suis mieux senti, que la meurtrissure a guéri, j'étais prêt à attaquer de nouveau.»

Déceptions olympiques

En trois Jeux olympiques, Guay n'a jamais réussi à monter sur le podium: «Ça va me rester sur le coeur longtemps.» À Turin, en 2006, il n'avait pas skié pendant deux semaines en raison d'une blessure à un genou. Après une anesthésie locale, il avait pris le quatrième rang du super-G. Quatre ans plus tard, à Vancouver, il a fini deux fois cinquième, ratant la médaille de bronze par trois centièmes en super-G après un léger écart en haut de parcours qu'il regrette encore. «J'ai gagné tous les autres intervalles... J'étais déçu, mais hyper motivé en sortant de là. Je suis allé gagner le super-G en Norvège et ensuite le globe de cristal à Garmisch.»