Moment fort hier après-midi au Chateau Lake Louise. Sur le coup de 15 h, skieurs, entraîneurs et personnel de la Coupe du monde de ski alpin sont sortis en silence dans la cour arrière.

Avec le lac enneigé et les imposantes montagnes en arrière-plan, ces quelque 200 personnes, la plupart des hommes dans la fleur de l'âge, se sont serré les coudes pour un rassemblement en hommage à David Poisson, qui s'est tué la semaine dernière lors d'un entraînement à Nakiska, à une heure de là.

Les Français sont arrivés parmi les derniers, encore sous le choc de la mort bête et tragique de leur compatriote de 35 ans, père d'un petit garçon d'un an et demi.

Sophie Clivaz, coordonnatrice des communications pour les épreuves masculines à la Fédération internationale de ski, a pris la parole pour souligner à quel point Poisson était un être «positif et optimiste». Elle a ensuite invité son coéquipier Maxence Muzaton à allumer un feu avant d'observer un moment de silence.

Pendant cinq minutes, il n'y a eu pour tout son que le craquement du bois et les rires épars de quelques touristes qui se lançaient des balles de neige un peu plus loin.

Mme Clivaz a encouragé les skieurs à «continuer à skier, [à] continuer à se battre» pour leur collègue disparu. Ils se sont dispersés en petits groupes, la tête basse. Erik Guay observait la scène du haut des marches.

«De manière générale, les skieurs, on connaît les dangers», avait dit le champion mondial de super-G quelques heures plus tôt. «On est prêts à se défaire un genou ou à se casser une jambe. Mais la mort, c'est autre chose. Tu n'es pas là pour te tuer.»

Entraînement annulé

Le midi, les skieurs étaient tous sur la piste à reconnaître le parcours de la première descente d'entraînement, qui a finalement été annulée. La dizaine de centimètres tombés la veille et durant la nuit avaient rendu la surface pareille à des « patates pilées », dixit le Québécois Dustin Cook.

Un coeur avec la mention «David» avait été installé de chaque côté des clôtures dans l'aire d'arrivée. «C'est encore dur à croire», a souligné Cook dans le chalet de la station. «On ne peut pas vraiment y faire grand-chose. J'ai vraiment de la peine pour les Français. Je ne peux imaginer si c'était un de nos coéquipiers.»

Après quelques jours de réflexion, les huit skieurs français, tous présents à Nakiska, ont choisi de prendre le départ à Lake Louise. La mère du défunt leur avait donné sa bénédiction.

«On leur a tous laissé la possibilité de courir ou de ne pas courir de manière individuelle», a précisé mardi soir l'attaché de presse de l'équipe, Laurent Chrétien, en marge de la réunion des capitaines, qui s'est ouverte sur une minute de silence très chargée. «Maintenant, ils sont là pour courir, ils sont là pour être des compétiteurs, pas pour participer uniquement.»

Dès le premier jour, la Fédération française de ski a mis en place une «cellule psychologique» pour accompagner ses coureurs. «Un bon travail de groupe a été fait, a expliqué Chrétien. Tout le monde pouvait prendr la parole, donner un peu ses sentiments, expurger tout ça. Vider son sac, quoi. Sans tabous, sans pudeur. Ce n'est jamais facile.»

Pour le moment, skieurs comme entraîneurs ont choisi de ne pas parler aux médias. Croisé hier après-midi dans le hall d'entrée, le directeur technique national Fabien Saguez partait pour Calgary, où le corps de Poisson repose toujours. Une autopsie a été pratiquée, dont aucun détail n'a filtré.

Selon les témoignages, Poisson aurait perdu un ski avant de faire une chute et de passer au travers des filets dits «B», moins hauts (de 1,5 à 2 m) et non ancrés comme les filets «A» (de 3 à 4 m). Il aurait ensuite percuté un arbre de plein fouet. Il est mort sur place.

Guay était à l'entraînement au Colorado lorsqu'il a appris la mort de Poisson. « C'est un peu le choc, a-t-il admis. Tu n'en reviens pas que ça puisse arriver. La dernière fois, c'était une Française [Régine Cavagnoud]. C'était en quelle année ? 2001. Ça fait quand même 15, 16 ans qu'on n'avait pas eu de mort en ski alpin. Je pense que la sécurité est plus élevée en général. Ça démontre aussi à quel point notre sport est dangereux. Une petite gaffe de rien, sur une piste qui n'est pas difficile, et tu peux mourir. C'est tough.»

Le lendemain, sur les pentes, Guay admet avoir observé chaque poteau de télésiège et chaque arbre pouvant représenter un danger. Il a aussi évalué les meilleures zones de dégagement en cas de chute. Cette hypervigilance s'est dissipée au fil des jours.

Guay a discuté un peu avec les Français depuis son arrivée à Lake Louise. Comme eux, il est allé skier à Nakiska au début de la semaine. Johan Clarey lui a dit qu'il avait longtemps songé à rentrer chez lui et à «tout arrêter».

«C'est encore plus difficile pour eux. C'est un coéquipier, ils passaient énormément de temps avec lui. Si c'était arrivé à quelqu'un de notre équipe, ce serait dur émotionnellement de rembarquer. Je les trouve assez braves d'être ici.»

«Super gentil»

David Poisson est arrivé sur le circuit de la Coupe du monde en 2004, deux ans après Guay. Le skieur de Mont-Tremblant décrit le Français comme «un gars super gentil, un comique, toujours relax». «C'est ça qui est dur, on dirait que ça arrive toujours à des gens sympathiques.»

À son retour à Mont-Tremblant, le week-end dernier, Guay n'a pas discuté de la mort de Poisson avec sa femme. Ou à peine. «La plupart des gens comme Karen, qui passent leur vie autour du ski, savent que c'est une malchance», a dit le père de quatre filles.

Comme après une grosse chute, la meilleure façon de conjurer le mauvais sort est, selon Guay, de renouer avec la compétition le plus vite possible. «C'est plate, mais il faut passer à travers. Il va y avoir une victoire samedi et une victoire dimanche.»

Le feu a continué de brûler, alimenté toute la nuit dans la cour du Chateau. Pour garder vivant le souvenir de David Poisson.

Photo Sergei Belski, USA TODAY Sports

Un feu a été allumé et un moment de silence a été observé à la mémoire de David Poisson.