«Wow, je n'avais jamais réalisé à quel point ça faisait mal d'être champion du monde! Tu ne peux pas dire nom à un drink...»

Erik Guay a laissé ce message sur sa page Facebook, hier matin, un peu moins de 24 heures après sa victoire en descente aux Championnats du monde de Garmisch-Partenkirchen.

Après avoir assisté à la descente féminine, remportée par l'Autrichienne Elisabeth Görgl, le skieur de Mont-Tremblant a donné une autre série d'entrevues avant de retourner au lit, épuisé. Il doit rentrer à Montréal demain avant de retrouver sa petite famille, installée à Calgary depuis l'été dernier.

En attendant, toute l'équipe canadienne de ski alpin savoure cette médaille d'or en forme de «rédemption», dixit Paul Kristofic, entraîneur-chef des hommes.

«On courait après ça depuis longtemps et ça ne pouvait arriver à un meilleur moment», a souligné Kristofic, joint hier soir en Allemagne au moment où il finissait son repas. Au lendemain d'une soirée bien arrosée, tout le groupe profitait d'un peu de quiétude en cette journée de congé.

«On a eu notre part de coups durs cette année, avec toutes ces blessures et d'autres choses, a ajouté Kristofic, sans offrir plus de détails. Il y a des gars qui skient encore avec des blessures tenaces. C'est vraiment un grand moment pour nous et tout le monde est très motivé. Toute victoire dans un grand championnat est énorme. Mais je dirais que pour nous le timing était critique.»

Saison trouble

Le triomphe de Guay ne pouvait effectivement mieux tomber. Il survenait un an jour pour jour après la cérémonie d'ouverture des Jeux de Vancouver, où les skieurs canadiens ont été blanchis. Ce zéro pointé a eu un impact sur le budget de Canada Alpin.

En novembre dernier, à la Coupe du monde de Lake Louise, le président Max Gartner a envoyé un signal d'alarme, craignant une désaffection généralisée de ses commanditaires majeurs.

Une cascade de blessures a suivi, touchant plusieurs des meilleurs éléments de l'équipe. François Bourque, Louis-Pierre Hélie, Robbie Dixon, Jan Hudec, Ryan Semple, Manuel Osborne-Paradis et Jean-Philippe Roy sont tour à tour tombés au combat. Sans oublier John Kucera, à qui Guay a succédé à titre de champion mondial, qui ne reprendra vraisemblablement pas la compétition cette saison.

Guay n'a pas été épargné. Après une troisième place à Val Gardena, unique podium canadien en Coupe du monde cet hiver, il a été ennuyé par des douleurs dorsales. Il a manqué un mois complet.

Dans les circonstances, personne ne donnait cher de ses chances à Garmisch-Partenkirchen, en dépit de ses nombreux succès passés en Bavière, dont cette ultime victoire en super-G qui lui avait permis de se sauver avec le globe de cristal en mars dernier.

Il faut maintenant se rendre à l'évidence: Guay est au mieux de sa forme quand il échappe à l'attention. Aux Jeux de Turin, en 2006, il peinait à marcher quand il a fini quatrième du super-G. Quatre ans plus tard, à Vancouver, tous les projecteurs étaient tournés vers Osborne-Paradis et Dixon avant que le Québécois ne finisse deux fois cinquième dans les épreuves de vitesse.

Des réflexes de chat

En revanche, certains ont commencé à douter de la capacité de Guay à briller au moment opportun. «Je pense que je viens de démontrer le contraire», a dit l'athlète de 29 ans à La Presse quelques heures après être devenu champion du monde.

En se levant, Guay n'avait pas le pressentiment qu'il connaîtrait une grande journée, comme ce fut parfois le cas dans le passé. Or, en s'installant dans la tente de départ, un calme inhabituel l'a envahi. Même son technicien de longue date, Erich Schnepfleitner, l'a remarqué.

«Souvent, je commençais une course en me disant: O.K., je vais aller vite, je vais être agressif, a expliqué Guay. Puis je me raidissais plutôt que de me servir de mes réflexes de chat et skier de manière détendue. Aujourd'hui, j'avais l'impression que les choses arrivaient presque au ralenti. C'est vraiment un super feeling, j'appelle ça le «ski magique» quand ça arrive.»

Cette détente était nécessaire pour absorber chaque bosselure de la piste Kandahar, qui a fait payer un lourd tribut aux meilleurs descendeurs de la planète. Plusieurs se sont écroulés avant de pouvoir s'immobiliser dans l'aire d'arrivée.

À l'entraînement, Guay a spécialement travaillé sur ce relâchement musculaire à l'effort, a souligné Kristofic. Bien respirer pendant une descente, ne pas serrer les dents, laisser aller les skis.

En plein ce que l'entraîneur a vu quand le futur champion a filé près de lui au début de l'épreuve. «Il avait l'air décontracté, les mouvements de son corps étaient très fluides, les articulations bougeaient bien à chaque endroit sur la piste, a-t-il noté. Avec ça, il a apporté un niveau incroyable d'intensité. C'était beau à voir.»

Kristofic compare cet état de grâce à l'effort déployé par les sprinters au 100 mètres: «Quand on voit les ralentis, tout bouge dans leurs muscles faciaux, tout est détendu, alors qu'on ne peut trouver activité plus intense. C'est un peu la même chose quand un gars frappe un circuit au baseball. C'est comme s'il swingue à peine le bâton.»

Quand Guay a franchi la ligne, il détenait une priorité de 76 centièmes de seconde sur l'Italien Christof Innerhofer, qui l'avait précédé sur la piste. Si quelqu'un devait le battre, ce serait le Suisse Didier Cuche, roi de la descente depuis presque cinq ans. Guay a eu chaud, mais Cuche a échoué par 32 centièmes.

«Ç'a été un grand moment pour moi», a confié Guay. À la cérémonie des médailles, il a pris une profonde inspiration avant de sauter sur la plus marche du podium.

Une façon de savourer le moment et de mesurer le chemin parcouru.