Le 4 juillet 2011, la skieuse montréalaise Kaya Turski était sur la montagne à Whistler quand elle a appris l'inclusion du slopestyle aux Jeux olympiques de Sotchi de 2014. Après des mois de tergiversations, de supputations et de délais, elle n'y croyait plus. Elle a sauté de joie avant d'appeler tout son entourage, dont sa grand-mère, «qui voulait vraiment me voir aux Olympiques...»

«Certains sont inquiets pour le sport, mais pour ma part, je suis vraiment excitée de voir où ça va me mener», dit Turski, rencontrée mercredi matin à Montréal, à quelques heures de l'ouverture du sixième Festival international de film de freeski (iF3), auquel elle prête son concours.

Et pour cause. La jeune femme de 24 ans est numéro un mondiale en slopestyle, discipline spectaculaire mêlant les figures sur rails et sauts à grand déploiement. Depuis 2010, elle a tout gagné, dont trois médailles d'or aux X Games. Athlète créative et apparemment imperméable à la peur, elle est la première et seule femme à avoir réussi un 1080 switch - à reculons - en compétition.

Grande vedette dans son milieu - elle est bardée de commanditaires, dont l'incontournable Red Bull, le plus important - Turski est à peu près inconnue hors des cercles du sport extrême. Sotchi 2014, où elle s'annonce comme l'une des grandes favorites, risque de tout changer.

«Qui ne regarde pas les Jeux olympiques? demande l'athlète originaire de Notre-Dame-de-Grâce. J'y vois une occasion d'éduquer la terre entière à propos de ce qu'on fait. Parce que notre sport est relativement inconnu. Je sais qu'il est très excitant et qu'il pourrait devenir beaucoup plus populaire.»

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Félix Rioux, dynamique président du iF3, ne se surprend pas des succès de Turski, qu'il a connue quand elle avait 11 ans. Il était alors copropriétaire de la boutique D-Structure, spécialisé dans le freeski et le patin à roues alignées. Elle faisait la pluie et le beau temps en rollers sur les structures de l'ancien TAZ, qui a fermé ses portes avec l'avènement de la Grande Bibliothèque.

«Elle est très déterminée, souligne Rioux. Elle disait: "Je vais faire quelque chose" et elle le faisait. Elle était la seule fille et elle compétitionnait contre les gars. Elle était aussi très téméraire. Elle se pétait la gueule solide. Elle ne braillait pas et se relevait...»

Un jour, Rioux a invité Turski à participer à une compétition de slopestyle organisée par sa boutique. Ça a été le coup de foudre avec un sport, le ski alpin, qu'elle avait déjà pratiqué dans sa jeunesse.

Sur les planches, Turski a pu appliquer toutes les habiletés acquises sur ses patins au TAZ: équilibre, capacité à se mouvoir sur les rails, figures aériennes, etc. «C'est certainement là que s'est construite la skieuse que je suis devenue aujourd'hui», affirme-t-elle.

À 17 ans, elle a planté ses bâtons à Whistler, où «tout est parti». Quand on lui fait remarquer que c'est jeune pour s'expatrier, elle réplique: «C'est pas si jeune... Il y a des filles de 17 ans qui sont meilleures que moi aujourd'hui. C'est fou!»

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Le slopestyle est un sport extrême, certes, mais Kaya Turski n'est pas différente des autres athlètes olympiques. Elle s'entraîne très sérieusement en gymnase et sur trampoline, est suivie par un physiothérapeute depuis cinq ans, se soumet à des examens sanguins. Cette année, un psychologue sportif s'est ajouté à son équipe de spécialistes. «J'ai toujours pris soin de mon corps. Pour moi, le niveau supérieur, c'était l'aspect psychologique. Et c'est fantastique.»

À l'image de Shaun White, le demi-dieu du snowboard, mais «à une échelle plus petite», Turski peut compter sur le soutien de Red Bull. Le fabricant de boisson lui a entre autres organisé des stages sur rampe d'eau et lui fournit un entraîneur spécialisé dans la perception des mouvements aériens.

Turski a aussi passé trois jours à Aspen, au Colorado, où elle a pu pratiquer des sauts sur un immense coussin d'air dans une aire d'entraînement spécialement conçue pour elle par Red Bull. Entourée par toute une équipe, elle a pu pratiquer les sauts périlleux et «désaxés», qui ne sont pas sa spécialité.

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Le succès, les commanditaires, les compétitions, les voyages dans les plus belles stations du monde: tout ça est bien beau, mais aussi épuisant. «Il n'y a pas juste le ski, souligne-t-elle. En même temps, il faut aussi être une femme d'affaires.»

À 24 ans, Turski a également subi son lot de blessures : une rupture du pancréas pour laquelle elle a été hospitalisée deux semaines et une déchirure du ligament croisé antérieur de chacun de ses genoux.

Turski a aussi été frappée par la mort tragique de sa grande amie, la Canadienne Sarah Burke, l'icône du freeski (en demi-lune) qui s'est tuée lors d'un accident à l'entraînement.

«J'ai connu une année assez difficile, lâche Turski. Quand le printemps est arrivé, j'ai vécu ce qu'on pourrait appeler un crash

Pour refaire ses forces, elle est partie s'installer près de la plage, à Carlsbad, en Californie, où elle s'est tenue loin de ses planches et s'est consacrée à l'entraînement en salle.

Turski perpétue l'héritage de Burke en promouvant le ski au féminin. Elle le fait entre autres avec ses webépisodes State of Mind, disponibles sur son site (kayaturski.com) et où elle raconte sa vie sur le circuit professionnel.

«Les gens ont rarement la chance de voir ce qu'est le ski féminin parce qu'on ne reçoit pas autant de couverture à la télévision, sinon aucune, note-elle. Et notre présence n'est pas très forte en ligne et dans les vidéos qui s'apprêtent à sortir. Comment les gens nous verront-ils? Avec ça vient le manque de respect, la méconnaissance.»

Sotchi sera le théâtre idéal pour renverser cette tendance. «Tout ça est nouveau pour le freeski, souligne Turski. Je suis chanceuse et je le vois comme la chance d'une vie. J'ai sauté dans le train et je suis prête pour l'aventure...»

Photo: PC

Kaya Turski est la première et seule femme à avoir réussi un 1080 switch - à reculons - en compétition.