L'amateur moyen de véhicules motorisés entretient une relation de type amour-haine avec ces spectaculaires créations qu'on appelle prototypes: il en tombe follement amoureux lorsqu'il les découvre, puis, inévitablement, devient inconsolable en apprenant que jamais il n'aura la chance d'en posséder un. Les prototypes existent dans le but de laisser libre cours à l'imagination des stylistes et pour piquer la nôtre.

Mais ils ne sont pas à vendre.

La nouvelle Suzuki B-King est l'exception à cette règle, puisqu'il s'agit d'un des très rares modèles qui a passé du stade de prototype à celui de machine de production. Oh, il aura quand même fallu une demi-douzaine d'années à Suzuki pour répondre à la réaction positive générée par la première apparition du modèle, au Salon International de Tokyo de 2001.

Garder la ligne

L'un des aspects les plus extraordinaires de la B-King est sa ligne. Si le constat peut sembler évident compte tenu de l'origine du modèle, le fait est que les exigences de la production à grande échelle sont souvent fatales pour le côté magique des prototypes. Pas dans le cas de la B-King, dont la version de production et le prototype sont littéralement identiques.

Les photos ne lui rendent pas justice et ce n'est qu'une fois en sa présence que la démesure de ses proportions et l'exagération de ses traits deviennent concrètes. Le coup de crayon général, la partie arrière dominée par ces silencieux fous et le réservoir d'essence auquel on a greffé des «épaules» se combinent pour donner à l'ensemble un saisissant effet d'animation japonaise.

Aussi étonnant soit-il, le style de la B-King ne représente qu'une partie de l'intérêt du modèle, son véritable attrait se découvrant plutôt sur la route.

Certaines routières issues d'un prototype se retrouvent handicapées par leur origine, le style ayant joué une trop grande part dans l'élaboration de la version grand public. La B-King dégage, par contraste, une pureté de comportement très impressionnante. On doit s'habituer à son poids élevé et concentré haut sur la moto, surtout pendant les manoeuvres lentes et serrées, mais une fois en mouvement, on a droit à du pur bonbon.

À tort ou à raison, Suzuki tente sans cesse d'injecter son savoir-faire en matière de sportives dans autant de modèles que possible. Dans le cas de la B-King, l'héritage et l'ADN de sa série GSX-R sont non seulement clairement perceptibles, ils sont aussi les grands responsables d'un comportement qu'on doit qualifier de superbe.

Avec sa mécanique de 1340 cc - crachant pas moins de 181 chevaux - piratée à la dernière génération de la Hayabusa, sa position de conduite relevée et son absence quasi totale de protection au vent, la B-King semble être une invitation au rodéo routier, mais on découvre plutôt en elle une force de la nature aux manières étonnamment amicales.

Très légère de direction malgré sa masse considérable, précise en courbe, fermement suspendue sans être rude, dotée d'une selle très correcte et proposant une position naturelle à saveur sportive, la B-King se conduit au jour le jour avec une facilité que sa ligne et sa fiche technique ne laisseraient jamais soupçonner. Poussez toutefois les boutons de la bête - ce qui, en gros, se résume à tordre sans retenue la poignée droite - et elle vous télégraphiera dans un univers où tout sauf une toute petite fenêtre, devant au loin, est flou.

Et nul besoin d'avoir recours à des tours élevés pour se livrer à ce manège, puisque la B-King génère une très impressionnante poussée dès les tout premiers régimes. Vraiment très peu de motos, toutes catégories confondues, arrivent à étirer les bras de leur pilote avec une telle vigueur et de façon aussi instantanée.

Les constructeurs décident rarement d'amener un prototype jusqu'à l'étape de la production, pour une panoplie de raisons. Pourtant, la B-King est une preuve irréfutable que, si l'exécution est respectueuse du concept original et que si on donne non seulement une jolie ligne, mais aussi du coeur au produit final, on ne peut pratiquement pas se tromper.