Amélie, 16 ans, raffole de la littérature. Elle dévore les romans les uns après les autres et écrit de longues heures pendant la journée. Si elle doit investir un minimum de temps dans l'apprentissage d'autres matières, elle consacre la plus grande part au perfectionnement de son français.

«L'éducation à domicile, c'est comme ça. Oui, il y a des matières imposées, mais si un enfant veut pousser l'apprentissage plus loin dans un domaine, on n'est pas pris pour lui dire que ce sera au programme dans deux ans», explique Pierre Compagnat, père d'Amélie, mais aussi personne ressource aux affaires légales à l'Association québécoise pour l'éducation à domicile (AQED).

Sa femme, Marie Tremblay, enseignante de formation et présidente de l'Association, se charge de l'éducation de leurs filles. Avant d'intégrer l'école l'an dernier, son fils faisait lui aussi partie de sa classe de «petits préférés».

La famille Tremblay-Compagnat s'est lancée dans l'éducation à la maison il y a un peu plus de 10 ans. À l'époque, Marie ne pouvait concevoir d'envoyer sa fille de 5 ans à la maternelle toute la journée alors qu'elle faisait encore de longues siestes l'après-midi. Elle s'est donc assurée de son éducation pendant toute l'année scolaire. Puis, elle a continué, jusqu'à garder ses trois enfants avec elle à la maison.

«Évidemment, un choix comme celui-là soulève des questions, dit M. Compagnat. Il y a des gens qui pensent qu'on porte préjudice à nos enfants et qu'on les empêche de socialiser. Au contraire, ça fait des enfants ouverts, capables de jouer entre eux peu importe l'âge. Nous n'avons rien contre les écoles non plus: nous y avons même envoyé notre fils quand nous sentions qu'il ne progressait plus à la maison.»

Environ 1500 familles au Québec éduquent 3000 enfants à la maison. D'après l'AQED, ce mouvement est difficilement quantifiable, mais il prendrait de l'ampleur.

Malgré tout, l'instruction en marge du système scolaire suscite des interrogations. Mère de deux fillettes à la maison, Claudia en sait quelque chose. Elle-même oeuvrant dans le domaine de l'éducation, elle nous a demandé de changer son prénom, histoire de ne pas avoir à justifier sa décision.

Claudia et son mari Loïc veillent tour à tour à l'éducation de Maëlanne, 5 ans, qui devait entrer en maternelle cette année. Grâce à des horaires de travail variables, ils arriment leur vie professionnelle au défi de l'enseignement à la maison.

Vive, leur aînée sait lire et elle complète à son rythme le programme de la première année du primaire. Presque deux ans plus tôt que prévu. «À la maison, notre fille peut avoir son propre rythme d'apprentissage, souligne Loïc. À l'école, on exige des enfants des horaires que nous-mêmes, comme adultes, nous aurions du mal à soutenir. Qui peut rester concentré pendant deux heures assis sans bouger?»

Une philosophie sur laquelle s'est penchée Christine Brabant, chercheuse à l'Université de Sherbrooke. Elle a publié en 2004 la première étude québécoise sur la question. «Les recherches que j'ai lues m'ont donné assez de raisons de croire qu'il n'y a aucun danger à faire l'école à la maison, dit-elle. Ce n'est pas toujours le cas, mais c'est possible de très bien faire si les parents s'entourent bien.»

Et les commissions scolaires?

«L'éducation à la maison est un droit inclus dans la loi sur l'instruction publique, explique Jean-Pierre Saint-Gelais, responsable des communications pour la Fédération des commissions scolaires du Québec. Généralement, ça se passe plutôt bien entre les deux parties. Les enfants passent seulement un examen à la fin de l'année pour vérifier que tout se passe bien.»

Cependant, d'après l'AQED, 60% des familles qui optent pour l'école à la maison le font dans le plus total anonymat. Les enfants surgissent de l'ombre au moment de passer leurs examens pour l'obtention d'un diplôme d'études secondaires.

C'est la relation parfois tendue avec certaines commissions scolaires qui amènent des parents à couper les ponts avec le système scolaire régulier.

«Oui, il y a une difficulté d'interaction, mais c'est un domaine en progression et ça va s'ajuster, croit Christine Brabant. Ce n'est qu'une question de temps.»