Si un jour je suis obligée de quitter Montréal et de choisir une autre ville québécoise, Sherbrooke sera parmi les candidates. J'aime comment elle s'emmêle dans ses propres rivières et tombe le long de ses vallons. Je m'y perds constamment, incapable de comprendre sa géographie, mais toujours heureuse de me rappeler qu'entourée comme elle est de collines douces et vertes, de vieilles maisons de bois peint et de fermes dodues, voire d'une université de brique rouge comme dans les films british, ça ne pourra jamais être bien grave. Et même pas mal du tout.

Il y a quelques années, je me rappelle avoir mangé une des pires pizzas de ma vie à Sherbrooke. C'était dans un café de la rue Wellington, qui essayait de bien faire ça. L'expérience m'avait convaincue d'oublier la gastronomie locale, bien que j'y aille quand même plusieurs fois par année.

Mais ce printemps est arrivé ce que j'attendais: le vrai bon resto où je vais maintenant aller me réfugier quand je suis de passage à Sherbrooke. Il s'appelle Auguste, est installé rue Wellington, dans la partie cool de la rue où s'ouvrent quelques terrasses en été et que l'on songe à rendre piétonne. Piloté par Danny St Pierre - que certains auront vu plusieurs fois aux émissions de Di Stasio ou connu quand il dirigeait la cuisine de Derrière les fagots à Laval ou celle du Laloux à Montréal - il a tout ce qu'il faut pour nous abonner: une excellente cuisine, un joli décor contemporain ponctué de vieilles photos noir et blanc et une ambiance absolument relax et accueillante autant pour un souper d'amoureux après le cinéma que pour un repas du samedi soir avec toute la famille.

Côté menu, la formule est assez directe et moderne: pas trop de plats et une approche bistro contemporain avec une touche terroir. Ainsi, le pudding chômeur à l'érable est au menu, tout comme un poulet aux morilles. Le chef et son acolyte Anik Beaudoin élargissent le répertoire sans aller trop loin. Restent proches de la terre et de ce qu'elle apporte.

Le soir où nous y sommes allés, l'entrée gagnante fut, sans la moindre réserve, la terrine de canard aux champignons en pâte filo. Ce n'est pas de la tourtière que je veux maintenant à Noël, c'est ça. Bien cuite et hachée au moulin, la viande de canard offre une texture et une profondeur de goût qui se prêtent parfaitement à la réinvention de nos traditions.

Accompagnée de champignons hachés, cette terrine en croûte - simple et craquante pâte filo - nous donne l'impression de partir en balade dans la forêt au temps de la chasse. Une belle découverte.

À côté de cela, plus classiques et plus légers et cuits exactement comme il le faut, les pétoncles saisis et déposés sur une purée de céleri-rave avaient l'air d'enfant de choeur, bons et sages, parfaits et vertueux. Mais si la vertu vous fait fuir, il y avait aussi au menu ce soir-là un foie gras poêlé aux raisins verts servi avec brioche. Fondant, doux, richissime, cuit comme il faut pour avoir ce petit côté craquant sous la fourchette...

Ce sont cependant les plats les plus simples et les plus modestes qui nous renversent, comme cette assiette de poulet aux morilles accompagné de pak-choï sauté, dont la sauce, classiquement déposée sur une purée de pommes de terre, fut littéralement pillée par une petite personne assise à mes côtés.

Il y en a qui disent que c'est par les omelettes qu'on reconnaît les bons chefs. C'est vrai. Mais le poulet en dit long lui aussi. Celui-ci était juste assez gras et fondant, savoureux comme le sont les poulets qu'on a laissés grandir en paix et bien accompagné par ces morilles tendres qui transportent toujours partout avec elles le mystère d'un brûlis forestier perdu très loin.

Mais pendant que d'autres se partageaient une côte de boeuf au jus classique, très tendre, avec un gratin de pommes de terre bon parce qu'ultra-simple et une purée d'épinards tout aussi droit au but, le risotto finissait de me convaincre que le bonheur a quelque chose à voir avec les asperges aux aurores de l'été.

Jetées en petits morceaux crus à la dernière minute, en compagnie d'un concassé de tomates fraîches, dans le riz bien chaud cuit dans un riche bouillon, ces asperges donnaient au plat craquant et énergie. Souvent très crémeux, avec un côté presque «pudding», le risotto adoptait plutôt ici une personnalité tout en contrastes et avec ce genre de jeu de textures qui nous fait nous arrêter sur chaque bouchée. Pour celui-là, c'est moi qui ai vidé l'assiette.

Au dessert, le pudding chômeur à l'érable, servi dans un ramequin où il avait été cuit individuellement, prêt à faire fondre toutes les crèmes glacées de la terre, a comblé les amateurs de sucre. Tout comme la tarte au chocolat et à la noisette - une mousse-ganache au bon chocolat noir, déposée sur une croûte aux noisettes et servie avec une sauce au caramel - a su absolument ravir les amateurs de desserts chocolatés. Évidemment, lorsqu'on pense à Danny St Pierre, on pense au Laloux et donc au petit pot de crème au chocolat et au caramel au sel Maldon qu'y préparait son comparse Patrice Demers. Cette torta joue dans les mêmes ligues.

Restaurant Auguste, 82, rue Wellington Nord, Sherbrooke. Tél: 819-565-9559 Info: www.dannystpierre.com

> Prix: entrées 8$ à 10$, sauf pour le foie gras. Plats entre 12$ et 25$. Desserts 7$. Menu de cinq services à 55$ et table d'hôte le soir autour d'une trentaine de dollars.

> Vin: carte simple mais efficace et qui ne tombe pas dans les lieux communs australiens ou chiliens. Joli choix de vins au verre et on vous proposera autre chose que ce qui est au tableau noir si vous en faites la demande pour accompagner un plat particulier comme le foie gras.

> Faune et ambiance: bistro urbain où se retrouvent jeunes groupes d'amis, couples avec ou sans enfants. Il y a un bar où l'on peut manger seul et observer le chef qui s'affaire puisque la cuisine est complètement ouverte.

> Décor: dépouillé de façon très contemporaine, avec des photos d'archives de la ville de Sherbrooke. Cuisine ouverte et fait à noter: l'aération est efficace et impeccable.

(+): Joli décor, jolie cuisine, ambiance urbaine relax.

(-): On sent que le chef mesure encore avec précaution la latitude que lui laissera sa nouvelle clientèle sherbrookoise pour sortir des sentiers battus.