Des habitations réalisées par des imprimantes 3D géantes sont érigées en Allemagne, en Belgique, au Kenya, aux Philippines, en Chine, à Dubaï. Au Canada, un premier bâtiment résidentiel, qui comporte quatre logements, est construit avec cette technologie à Leamington, en Ontario.
Ce projet innovateur est notamment mené par Habitat pour l’humanité Windsor-Essex, conjointement avec des chercheurs de l’Université de Windsor et la municipalité de Leamington.
« C’est fantastique de voir plusieurs groupes différents travailler conjointement pour faire quelque chose de remarquable qui, espérons-le, changera l’avenir de l’habitation », indique Fiona Coughlin, présidente-directrice générale d’Habitat pour l’humanité Windsor-Essex. « C’est très excitant parce qu’il s’agit du premier immeuble multilogements construit avec une imprimante 3D en Amérique du Nord. »
Nous sommes aux prises avec une crise du logement et il faut innover. Une partie de l’expérience sert à démontrer qu’on peut construire de façon efficace pour moins cher avec cette technologie, et offrir du logement abordable et durable.
Fiona Coughlin, présidente-directrice générale d’Habitat pour l’humanité Windsor-Essex
Immenses, les imprimantes 3D béton suivent un tracé prédéterminé par ordinateur et utilisent en guise de matériau du béton, à la consistance savamment calculée, puisque les murs sont montés une ligne à la fois. Chaque couche doit avoir suffisamment séché lorsque la couche suivante est ajoutée au-dessus. Le bâtiment de quatre logements, partiellement subventionné par la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), sera remis à l’organisme communautaire The Bridge.
« Il était clair dès le départ, avec la municipalité, qu’on travaillait ensemble dans le but de construire le premier bâtiment du genre au Canada, qui serait habité, précise Mme Coughlin. Chaque adaptation au Code de la construction a été préalablement approuvée afin d’obtenir les permis nécessaires. »
L’aventure a débuté en mai 2021. L’entreprise qui effectue l’impression 3D béton, nidus3D, a été contactée au printemps 2022, quelque temps après avoir fait l’acquisition d’une imprimante de construction 3D, de la société danoise COBOD.
« Cela fait partie de nos valeurs fondamentales, de chercher des solutions pour répondre à la crise du logement et d’aider à construire du logement abordable », explique Ian Arthur, président de nidus3D et, jusqu’à récemment, député de la circonscription de Kingston et les Îles, sous la bannière du Nouveau Parti démocratique de l’Ontario.
« La vision de notre entreprise ne se limite pas à l’impression 3D béton, précise-t-il. On veut revoir la façon dont sont construites les habitations. Dans ce projet, qui était très avancé quand nous avons embarqué, nous avons un partenariat avec les départements de génie civil des universités de Windsor et Queen’s, qui font plein de tests. C’est précieux. Je m’attendais à une plus grande résistance de la part d’entrepreneurs établis. Mais la pression est tellement forte dans l’industrie, en Ontario, aux prises avec un manque de main-d’œuvre et une hausse des prix, que les gens sont désespérément à la recherche de solutions. L’impression 3D béton est très rapide et prévisible. Il n’y a pas d’erreur. Nous commençons en août la construction d’une maison de deux étages avec un sous-sol, à Kingston. »
Recherches à l’Université de Sherbrooke
Ammar Yahia, professeur à la faculté de génie de l’Université de Sherbrooke, croit beaucoup en cette technologie. Titulaire de la Chaire de recherche industrielle du CRSNG sur le développement des bétons fluides à rhéologie adaptée, il a conçu avec son équipe de chercheurs la première imprimante 3D béton au Canada.
« C’est une imprimante à petite échelle, qui imprime des éléments de 2 m sur 2 m sur 2 m, qui nous permet de tester et valider la performance des matériaux qu’on développe, explique-t-il. Notre objectif ultime, c’est d’avoir une imprimante à grande échelle pour pouvoir imprimer carrément des maisons. On est très avancés dans le développement de matériaux, qu’on cherche à rendre bas carbone. D’ici un an ou deux, si on obtient le financement, on commence à faire des prototypes. On pourrait faire une maison témoin d’ici trois ou quatre ans. »
L’impression 3D béton élimine l’étape du coffrage, qui représente habituellement 40 % du coût d’un projet, fait-il remarquer.
C’est une simplification majeure du procédé de construction. On se dirige vers la fabrication d’un gâteau sans moule, où le matériau retient sa forme.
Ammar Yahia, professeurà la faculté de génie de l’Université de Sherbrooke
« L’impression 3D béton permet par ailleurs de réduire considérablement les déchets et de construire des éléments de forme géométrique très complexe », poursuit Ammar Yahia.
Marco Lasalle, directeur du Service technique à l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ), suit avec intérêt les avancées dans le domaine.
« La maison à Leamington, qui est faite dans le cadre d’une recherche universitaire, est un très bon début, estime-t-il. Sauf que sur le plan des conformités au Code de construction, si on veut construire de manière différente, on doit démontrer que notre méthode va être au moins égale ou de qualité supérieure au minimum du Code. On n’est pas rendu là dans la démonstration. Mais le Québec, grâce aux recherches qui y sont effectuées, est certainement dans la course aux maisons imprimées. »