Petit à petit, on fait son nid
Implanter des habitats extraterrestres, oui, les agences spatiales y pensent sérieusement. En Europe, l’European Spatial Agency (ESA) sonde les modalités de la construction d’un village lunaire, tandis que la National Aeronautics and Space Administration (NASA) lorgne une implantation durable sur notre satellite. Ce qui exigera beaucoup de temps, d’argent et d’étapes à franchir, dont un premier pied-à-terre… en l’air, explique Robert Lamontagne, astrophysicien à l’Université de Montréal. « Cela nécessitera une station orbitale autour de la Lune, que les États-Unis prévoient lancer avant la fin de la décennie avec le Gateway », explique-t-il. Ce relais permettra par la suite d’envisager et de faciliter l’édification de structures à même le sol lunaire. « L’effort requis pour acheminer des charges importantes vers la Lune n’est pas énorme », note M. Lamontagne. Mais pour Mars, ce sera une autre paire de manches…
Marie-Michèle Limoges, directrice du contenu scientifique et de la formation au Cosmodôme, précise que la NASA prévoit deux structures habitables au sol : une sédentaire pour quatre personnes (Foundation Surface Habitat) et une sorte… d’autocaravane (Habitatable Mobility Platform). « Ce serait comme un véhicule récréatif, une petite maison mobile qui permettra de se déplacer sur la Lune », souligne celle qui ne serait pas surprise d’y voir des hôtels émerger un jour. Autant de structures dont le design définitif n’a pas encore été présenté et sera probablement confié à des entreprises privées, qui serviront d’outils de base. « Ces modules d’habitation seront sûrement les mêmes pour Mars, mais mis à jour. »
Un emplacement de choix
Comme en immobilier, le choix du terrain est primordial. Atouts recherchés du quartier : luminosité et proximité des services. « Le pôle sud de la Lune est visé, pour des raisons logistiques et d’exploration : exposition à la lumière du soleil, facilitation des contacts radio. On pense que s’y trouve de l’eau, aussi », énumère Mme Limoges. Le relief sera également important, et on ne crachera pas sur les cratères, comme nous le verrons plus loin.
Matière à réflexion
De quoi ces habitations seront-elles faites ? Glace cosmique, brique lunaire, béton martien ? « On l’ignore encore, mais il faut que ce soit léger et durable. On pourrait penser au titane, à des alliages de carbone, ou des éléments gonflables », cite l’astrophysicienne. Une idée de l’ESA : façonner la poussière lunaire sur place plutôt que d’acheminer de lourdes matières premières. Or, on a justement trouvé, en Allemagne, de la poudre volcanique aux caractéristiques similaires à celles de la roche de Lune ; des tests de fabrication sur Terre peuvent ainsi être menés. Des questions restent cependant en suspens quant à son pouvoir isolant, nécessaire pour se protéger des rayons cosmiques, très nocifs.
Faire bonne impression, en 3D
Actuellement, des maisons terrestres entières peuvent être construites avec des imprimantes 3D géantes. Cette technologie est justement envisagée par l’ESA pour assembler ses briques lunaires. La NASA vient également de confier un mandat à l’Université de Sinte Gleska (Dakota du Sud) pour la conception d’habitats 3D qui pourraient être utilisés hors Terre, et a lancé plusieurs concours de design au cours des dernières années pour concevoir des abris martiens.
« L’impression 3D pourrait être pratique pour des réparations », note également Mme Limoges. Car si les vents violents sont exclus sur la Lune, privée d’atmosphère, on n’est pas à l’abri d’une micrométéorite. Bref, il faudra prévoir du solide…
Recherché : cratère de caractère
Un ennemi majeur du futur colon lunaire ou martien : l’exposition aux radiations cosmiques et solaires, qui pourrait par exemple provoquer des cancers. La Terre, avec son atmosphère et son champ magnétique, nous en préserve, mais ce n’est pas le cas de la Lune ou de Mars. « Dès qu’on s’éloigne de l’environnement terrestre, plus un séjour se prolonge, plus on est à risque », indique Robert Lamontagne, précisant que ces rayonnements sont très pénétrants et capables d’outrepasser une carlingue. Réduire cette exposition sera donc une des composantes clés des bâtiments. « La solution passerait par des constructions troglodytes ou souterraines, pour que le sol lunaire nous protège. On pourrait les imaginer dans des cratères, des crevasses ou des grottes », soulève l’astrophysicien.
Marie-Michèle Limoges y va d’une option gonflée : l’installation de poches d’eau pneumatiques, capables d’absorber les particules lourdes, déjà utilisées sur des engins pour lutter contre les radiations.
Un gym, une serre : culture et culturisme
Autre souci spatial : la gravité moindre, qui cause des dérèglements musculaires, osseux et organiques aux corps humains parfaitement adaptés à la gravité terrestre, nous apprend M. Lamontagne. Il faut donc compenser cela par un entraînement régulier. Moralité : un gym avec des modules d’exercices (ressorts et autres mécanismes à résistance) sera à prévoir dans les plans. De même, une serre destinée à l’agriculture spatiale serait la bienvenue, voire indispensable sur Mars, où l’acheminement de vivres sera beaucoup plus coûteux et complexe. « Il va falloir envisager de pouvoir faire pousser leur propre nourriture [aux astronautes]. Il n’y aura pas beaucoup de viande à manger ! », plaisante l’astrophysicien, qui songe à des semences à croissance rapide. Il faudra également trouver des façons de protéger ces cultures des rayons cosmiques et évaluer leur impact sur la santé humaine. L’Agence spatiale canadienne a par ailleurs mené des projets de culture hydroponique en milieu hostile dans le Grand Nord et moissonné des idées dans cette veine l’an passé.
Rester branché
Un autre défi soulevé par l’astrophysicien : l’alimentation énergétique d’une habitation et de ses équipements. « Sur la Lune, avec la lumière du Soleil, ça peut aller, on peut imaginer des panneaux solaires. Sur Mars, ça fonctionnerait aussi, mais il faudrait des panneaux plus grands, savoir où les placer et composer avec les tempêtes de sable… » Il faudra aussi contrer des températures extrêmes et être capable de générer assez d’énergie et d’isolation pour réguler le thermomètre. La NASA a déjà évoqué l’implantation d’un générateur nucléaire miniature capable de fournir de l’énergie à huit habitations. En ce qui concerne l’oxygène, des chercheurs de l’Université de Glasgow ont annoncé en 2019 que le sol lunaire en contient en grande quantité… mais sous forme minérale. Il est possible de le convertir en air respirable, même si le procédé, très énergivore, doit encore être perfectionné.
Mais la patience sera de mise avant de réserver son chalet sur Mars, car l’astrophysicien rappelle que si on est capable d’y envoyer des engins robotiques, faire survivre un équipage à ce voyage au long cours tout en assurant sa subsistance n’est pas encore possible. Il faudra se contenter, d’abord, des modalités d’une nuitée au clair de lune – ou devrait-on dire au clair de Terre ?
À qui la Lune ? À nous la Lune !
Une entreprise ou un État peut-il acquérir ou revendiquer un terrain immobilier sur la Lune ou une planète ? Négatif, selon le traité des Nations unies sur l’espace signé en 1967 : « L’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, ne peut faire l’objet d’appropriation nationale par proclamation de souveraineté, ni par voie d’utilisation ou d’occupation ni par aucun autre moyen », y est-il indiqué. Ouste, les spéculateurs aux plus-values astronomiques ! Cela dit, Marie-Michèle Limoges, directrice du contenu scientifique et de la formation au Cosmodôme, s’avoue préoccupée par l’avènement d’éventuels hôtels lunaires, qui pourraient engendrer une pollution visuelle et environnementale. « J’espère que le traité sera respecté », lâche-t-elle.
Des colonies sur vos écrans
Un petit aperçu télévisuel ? Notre duo d’astrophysiciens a évoqué le film Seul sur Mars (The Martian) et la série Pour toute l’humanité (For All Mankind), dans lesquels on peut voir des colonies aux caractéristiques assez proches des projets réels envisagés par les agences spatiales.