Pour l'agrandissement de sa maison ancestrale de Dorval, un couple a préféré jouer les contrastes plutôt que d'imiter le passé. Aujourd'hui, la grande résidence familiale fait cohabiter les époques et les générations, des enfants aux grands-parents.

En 2009, Bich et Hai repèrent un terrain, en bordure du lac Saint-Louis, à Dorval. Coup de coeur.

Ils acquièrent la parcelle, sur laquelle se trouve un «vrai» manoir en pierre. Construit vers 1820, il a déjà appartenu à la Compagnie de la Baie d'Hudson et fut occupé, entre autres, par Lord Strathcona.

Un premier projet d'agrandissement est élaboré afin de pouvoir loger la famille avec deux jeunes enfants, ainsi que les parents de Hai.

«On nous a d'abord proposé une reproduction de la maison ancestrale. Une sorte de "copié-collé" de l'existant. C'était désastreux», se souviennent les propriétaires, tous deux âgés de 37 ans.

Un ami leur conseille alors de faire appel à un architecte. Ils en joignent plusieurs et l'un d'eux leur dit: «Pourquoi vouloir faire du faux vieux? Vous ne pourrez jamais copier une telle demeure à sa juste valeur.»

Non au faux vieux!

Changement de cap. Ils abandonnent les premiers plans et repartent à zéro. La direction du projet est dorénavant confiée à Henri Cleinge. «Ça a cliqué», résume Bich. L'architecte montréalais obtient le mandat de rénover la maison existante, de dessiner un rajout et de définir des espaces intimes et communs pour tous, y compris les grands-parents paternels des enfants. Sans oublier les membres de la famille de passage, comme l'arrière-grand-père paternel des enfants, âgé de 91 ans. Ce dernier réside dans la partie ancienne pendant la belle saison et rentre ensuite chez lui, aux États-Unis.

La clé de la cohabitation? «Nous avons tenu compte des valeurs familiales, du mode de vie des occupants et des rapports entre les générations», précise Henri Cleinge.

Pour ce qui est de l'architecture de l'agrandissement, M. Cleinge mise sur un jeu des contrastes entre l'ultracontemporain et le traditionnel. Un mélange radical où chaque style se respecte et se met mutuellement en valeur.

Habillée d'acier oxydé, couleur orangée, et de bois teint noir, la nouvelle partie, largement vitrée, abrite les espaces de vie et la chambre des parents. Lumineuses, les pièces sont décloisonnées et offrent des points de vue magnifiques sur le lac et la verdure.

«J'ai préféré contraster le bâtiment historique avec une architecture actuelle, représentative de notre époque, argumente l'architecte. À l'inverse, un pastiche de l'ancien aurait dilué le charme et l'authenticité de la construction patrimoniale.»

«Le mariage du neuf et du vieux fonctionne, car l'ancien garde tout son cachet», enchaîne Bich.

Mais une telle audace ne convient pas à tous les rajouts. «Tout dépend du contexte, des règlements municipaux et du client», nuance Henri Cleinge.

Le passage du temps

Tel un trait d'union, un pont relie l'agrandissement à l'habitation d'époque.

À l'instar de la partie actuelle, cette passerelle est couverte d'acier, qui produit un contraste saisissant avec la pierre de la propriété. Les deux siècles qui séparent les bâtiments sont ainsi soulignés et... réunis! «On l'appelle le passage du temps», confie Hai.

Idée futée: le pont est percé de deux grandes baies vitrées qui laissent voir le paysage. Par la même occasion, un effet de légèreté est donné.

Au quotidien, la passerelle établit un lien direct entre la chambre des parents et celles des enfants, qui ont 6 et 9 ans. «S'il y a quoi que ce soit, on les entend de notre chambre», confirme Bich. Et plus poétiquement, cette jonction agit comme "pont" entre les générations.

Vivre ensemble

Avec leurs horaires de travail irréguliers, les propriétaires, tous deux médecins, peuvent heureusement compter sur la présence des grands-parents, qui habitent le rez-de-chaussée de l'habitation ancestrale. "Ça assure une constance pour les enfants», souligne Hai.

«Ils font leurs devoirs de notre côté et, ensuite, pour le souper, nous alternons. Parfois, nous mangeons ensemble dans le pavillon des grands-parents. Autrement, c'est nous qui préparons le repas, et tout le monde mange dans la partie nouvelle», détaille Bich, qui ne voit aucun problème à côtoyer tous les jours ses beaux-parents.

«J'ai eu 10 ans d'essai, dit-elle en souriant. Auparavant, nous vivions dans une maison en rangée qui jouxtait la leur.»

De la belle visite

«Notre maison est faite pour recevoir et réunir», raconte Hai.

En clair, des chambres et des aménagements ont été prévus pour les invités, membres de la famille du couple.

Ainsi, la chambre réservée au grand-père de Hai, au rez-de-chaussée du domicile d'origine, donne sur une salle de bains comportant une douche, ainsi qu'une laveuse et une sécheuse.

«Quand ma soeur et son mari sont de passage, ils ont aussi une chambre, au sous-sol de l'annexe, ajoute Hai. Et leurs deux filles dorment avec nos enfants, sur un lit d'appoint (gigogne).»

La plupart du temps, les invités se réunissent dans le "quartier" des parents, là où la vue est spectaculaire.

L'esprit des lieux? «On s'y sent comme dans une maison de vacances à l'année», assurent-ils.

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Des espaces adaptés

Bich et Hai l'admettent: la liste d'exigences soumise à leur architecte Henri Cleinge était très longue. Parmi leurs souhaits, il y avait celui de concentrer les espaces réservés aux grands-parents paternels des enfants au rez-de-chaussée. Ce qui leur évite d'emprunter fréquemment l'escalier. Bien pensé!

Pas question non plus que les enfants s'enferment dans leur chambre. D'où la création d'une longue table de travail, sous les combles, à l'étage de la résidence historique. Autre besoin: la création de nombreux espaces de rangement (pour les jouets notamment) parfaitement intégrés au décor. «Une condition essentielle pour bien vivre avec des enfants dans un intérieur minimaliste», fait remarquer Hai.

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Un intérieur feng shui

Il faut prêter attention pour le constater, mais plusieurs principes du feng shui, cet art de vivre chinois, ont été appliqués.

«C'est une façon de mettre toutes les chances de notre côté pour rendre notre maison harmonieuse, paisible et favoriser la prospérité", justifie le couple d'origine vietnamienne.

Voilà qui explique, entre autres, pourquoi la plaque de cuisson se trouve légèrement décalée par rapport à l'évier, dans la cuisine. «Car l'eau ne doit pas faire face au feu», indique-t-il.

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Valoriser le passé

Dégarni, l'intérieur de la résidence du XIXe siècle a été soigneusement remodelé et les vestiges du passé - la pierre et les poutres - valorisés par l'architecte. Une belle façon de préserver l'esprit originel du lieu.

Ainsi, la pierre des murs, d'une épaisseur de près de 60 cm, a été scellée et des joints ont été réparés. On l'admire principalement au rez-de-chaussée et, en partie, à l'étage.

Laissées apparentes, les poutres de bois ont été rehaussées et, surtout, elles affichent l'usure du temps.

Aussi, des fenêtres à carreaux ont été installées. Splendide, la porte principale, étonnamment orientée vers le lac et non vers la rue, a été restaurée.

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Oser l'acier

Reconnaissable à sa surface oxydée, l'acier autopatiné (Corten), utilisé pour la construction des ponts, figure parmi les matériaux privilégiés d'Henri Cleinge.

Inusité dans le milieu résidentiel, il possède toutefois plusieurs qualités, dont celle de s'harmoniser aux couleurs de la nature, affirme le concepteur.

«La présence de cuivre lui procure une teinte orangée qui graduellement devient brun chocolat. Comme le bois, l'acier Corten est un matériau vivant et d'une grande richesse. Jamais monotone. Mais il ne plaît pas à tout le monde», concède-t-il.

Dans une composition graphique, des panneaux de bois (okoumé) teint noir rehaussent la fenestration et viennent adoucir le côté industriel de l'acier. Du cèdre de l'Ouest, teint noir, a aussi été sélectionné pour couvrir le garage et une partie des murs du rez-de-chaussée de l'agrandissement.

Enfin, le coût au pied carré de panneaux d'acier Corten, installés par un artisan en métaux ouvrés, avoisine celui de la brique, posée par un maçon, estime l'architecte

Info: www.cleinge.com



Question de patrimoine

« La maison ancestrale des lieux n'est pas classée, mais elle fait partie d'une liste de bâtiments patrimoniaux », atteste Mario St-Jean, directeur du Service de l'aménagement urbain de la Cité de Dorval. À ses yeux, l'approche adoptée par les propriétaires du manoir provoque deux types de réaction: « On aime ou on déteste, observe-t-il. Dans d'autres cas, le mimétisme peut être souhaitable. Chaque projet est unique. Dans ce cas-ci, l'esprit radical de l'agrandissement parvient à mettre en valeur le bâtiment original et, surtout, à lui donner toute la place. »

En vidéo: la vie dans un bloc de béton

Qui a dit que le béton était froid et sans vie? Avec sa petite famille, l'architecte Henri Cleinge profite de son habitation toute en béton. Attention, projet hors du commun!

>>> Voir ici.