Les «shoe boxes», ces petites maisons qui ont survécu au passage du temps à Montréal, attirent le regard. Dans le paysage urbain, elles détonnent. Question de mieux connaître l'histoire de ces maisonnettes sorties d'un autre siècle, nous avons rencontré les propriétaires de trois d'entre elles. Ils ont tous été choisis au hasard d'une promenade dans le quartier Rosemont. Et ils ont tous en commun un amour inconditionnel pour leur boîte à chaussures.

Comment la construction de petites maisons unifamiliales a-t-elle été possible, dans un environnement dense comme celui de Rosemont? Simple: au début du XXe siècle, elles représentaient le seul moyen pour les ouvriers d'avoir enfin une maison bien à eux. Et ils n'avaient pas les moyens de construire plus grand.

Professeur au département d'études urbaines à l'Université du Québec à Montréal et ancien président d'Héritage Montréal, David Hanna explique qu'au tournant du XXe siècle, l'avènement du tramway favorise le développement rapide de plusieurs quartiers de Montréal, dont Rosemont. Bonne nouvelle pour les familles moins nanties, les terrains y sont moins chers.

Les propriétaires qui en ont les moyens construisent un duplex, ou plus rarement, un triplex. Les autres choisissent de bâtir une maison modeste, à un seul niveau, souvent sur une superficie d'à peine plus de 600 pi2. Le plan d'urbanisme leur permet même d'occuper le fond du terrain, libérant du coup un grand espace pour jardiner à l'avant.

«Ces maisons sont très significatives, car elles sont le premier accès à la propriété de Montréal pour les classes populaires», résume David Hanna.

Si, de l'extérieur, elles tranchent avec le paysage urbain, les matériaux utilisés pour leur construction sont, souvent, tout aussi originaux. Les terrains des usines Angus, construites à la même époque pour réparer et fabriquer du matériel ferroviaire, ont souvent servi de magasin à ciel ouvert.

«Plusieurs de ces maisons ont été faites avec des matériaux empruntés, disons à long terme, aux shops Angus. Elles étaient construites avec ce que les travailleurs trouvaient. Une de ces maisons-là a été détruite près de chez moi, et ils ont trouvé dans un mur un journal qui parlait du Titanic!», raconte, enthousiaste, Pierre Lefaivre, de la Société d'histoire de Rosemont-La Petite-Patrie.

Il ajoute que plusieurs de ces maisons reposent sur les immenses pièces de bois traité utilisées pour les voies ferrées. «C'est du solide! Le chantier des usines Angus était immense, et ce n'était pas très bien surveillé. Ce n'était pas bien compliqué de s'y approvisionner!»

Malgré le caractère éclectique des matériaux utilisés pour la construction de ces maisons, elles ont une valeur patrimoniale, insiste David Hanna.

Le professeur collabore d'ailleurs avec Héritage Montréal et donne un cours sur l'histoire des différents types d'habitation à Montréal, dans une formation plus vaste sur la rénovation résidentielle. L'objectif du professeur est de sensibiliser les propriétaires à l'importance de préserver le caractère original de leur maison.

Démolitions mieux encadrées

L'arrondissement de Rosemont-La Petite-Patrie reconnaît aussi la valeur patrimoniale des «shoe boxes». Au cours des dernières années, la vigueur du marché immobilier a poussé plusieurs promoteurs à les démolir pour y construire des condos sur deux ou trois étages.

Tous les propriétaires de «shoe box» que nous avons rencontrés sont unanimes: ils sont très régulièrement sollicités pour vendre leur maison. «On a des offres toutes les semaines. Des gens qui cognent à la porte, ou des courtiers qui nous laissent leur carte dans la boîte aux lettres», confirme Denise Héroux, propriétaire de l'une de ces maisonnettes depuis les années 90.

Or, depuis 2013, l'arrondissement examine toutes les demandes de démolition de maisons unifamiliales, ce qui n'était pas le cas auparavant. «En 2013, nous avons reçu 13 demandes de démolition, et nous n'avons opposé aucun refus, explique Marie-Claude Perreault, chargée de communication à l'arrondissement. En 2014, nous avons reçu six demandes, et nous en avons refusé une.»

Mme Perreault explique que les promoteurs s'informent maintenant davantage des critères de l'arrondissement pour l'obtention d'un permis, avant de présenter une demande. Résultat: plusieurs retardent ou abandonnent leur projet de démolition.

L'architecte Daniel Legault en sait quelque chose. Il travaille depuis des mois à faire approuver la démolition d'une minuscule «shoe box» située dans la 1re Avenue en immeuble de condos sur trois étages. «Ce bâtiment, avec un étage, il n'est pas du tout dans le même alignement par rapport aux voisins. Moi, je crois qu'il est important de conserver cet alignement pour un tissu urbain uniforme. C'est ce que je propose», explique-t-il, impatient d'obtenir une réponse de l'arrondissement pour son projet, le Ratio6675.

Les cours de rénovation résidentielle d'Héritage Montréal, auxquels participe David Hanna, reprendront au printemps 2015.

Info: heritagemontreal.org

Cachée derrière les framboisiers

La maison de Jean-Marc Boucher et de Lorraine Curadeau est à peine visible de la rue. Elle se cache derrière d'immenses framboisiers qui débordent de fruits bien mûrs, même à la fin du mois d'octobre. Au fond d'un immense jardin, le couple occupe la maisonnette qu'il a achetée en 1998, pour 52 000$. «Je voulais une maison, et c'était l'occasion pour moi d'en avoir une!», raconte le propriétaire, qui était auparavant locataire à un jet de pierre de là. Depuis, il la rénove d'année en année, allant même jusqu'à creuser un sous-sol... à la main.

Le rêve d'accession à la propriété, à Montréal, est passé par cette maison pour le couple Boucher-Curadeau. Un grand projet de rénovation qui mobilise toute la famille élargie.

Question de maximiser l'espace de sa maison, Jean-Marc Boucher a creusé lui-même une partie de son sous-sol. On y accède par une trappe située à l'entrée de la maison.

«Tu vois le mur, là-bas? J'ai creusé ça moi-même avec un marteau et une petite pelle pour ramasser les cendres du foyer!» raconte fièrement le propriétaire. Le sous-sol lui sert à la fois d'entrepôt et de pièce de travail.

La maison de Jean-Marc Boucher et de Lorraine Curadeau mesurait au départ 25 pieds par 26 pieds. Le couple a procédé à un petit agrandissement, à l'arrière, notamment pour y construire cet atelier.

Pas question toutefois de céder à la tentation d'un deuxième niveau, comme l'ont fait nombre de propriétaires de «shoe box». «C'était plein, ici, et on a rallongé de 15 pieds, et c'est encore plein! Si on mettait un deuxième étage, ce serait plein aussi! Plus t'as d'espace, plus t'en ajoutes!», lance M. Boucher.

Photo François Roy, La Presse

Photo François Roy, La Presse

De l'histoire dans le plafond

Jacques Carle et Josée Poirier-Carle ont déménagé dans leur «shoe box» en 2002. Une amie venait d'hériter de cette maison, et leur a proposé de la louer. Dans la cuisine, le couple désigne la poutre au centre de la pièce. «On est sûrs et certains que, si on enlevait les choses autour, on verrait que cette poutre est un rail de chemin de fer», lance Josée. Heureux de vivre dans un bâtiment à l'histoire riche, le couple accepte volontiers de vivre dans un espace restreint. «C'est une maison, mais en réalité, c'est un quatre-étoiles, concède Jacques. Par contre, on n'a pas besoin de plus. On est heureux, ici.»

La maison est centenaire, et pourtant, elle n'a connu que trois propriétaires. L'histoire entre ces murs fascine Josée Poirier-Carle. «J'adore les vieux meubles, et ils sont à leur place, ici.»

Les dimensions de la cuisine sont d'époque, aussi. Les comptoirs sont particulièrement bas. «Je pense que c'était parce que les gens étaient plus petits, à l'époque, et que c'étaient surtout les femmes qui cuisinaient», suppose Mme Poirier-Carle.

Les espaces sont certes petits, mais le couple affirme s'y sentir bien. «Les propriétaires pourraient construire un deuxième étage... mais pour nous, c'est parfait, ajoute Jacques. On est rien que tous les deux.»

Les petits-enfants de Jacques et Josée jouent dans la véranda, lorsqu'ils sont de passage. Un espace éclairé bien à eux.

La maison est coincée entre deux duplex, mais à l'arrière, le couple profite d'un grand jardin, et de suffisamment d'espace pour y recevoir la famille élargie.

Photo François Roy, La Presse

Photo François Roy, La Presse

Le projet d'une vie

En 1976, Gaëtane Richard et son mari ont payé 15 500$ pour acquérir leur maison... qu'ils ont allongés en argent comptant. Le fruit de nombreuses années d'économie. Par la suite, ils ont consacré près d'un an à la rénover eux-mêmes, sans relâche, jour après jour. Après des années «à loyer», ils y ont ensuite déménagé avec leurs trois enfants, goûtant du coup au confort de la vie dans une maison unifamiliale. «On a été élevés très pauvrement. Quand tu commences à gagner un peu d'argent, tu y fais très attention, raconte Mme Richard. On a travaillé fort pour cette maison-là, et on était fiers de nous.

Aujourd'hui veuve, Gaétane prend un soin jaloux de la maison que son mari et elle ont rénovée de fond en comble, dans les années 70. Il s'est écoulé un an entre l'achat et le déménagement de la famille, en 1976. Le temps que le couple réalise lui-même les travaux nécessaires pour y faire vivre ses trois enfants.

La lumière entre de partout, dans la cuisine et la salle à manger, étonnamment vastes pour ce type de maison. Ces portes donnent sur une véranda vitrée.

Le jardin, à l'arrière de la maison, est impeccable, même à l'automne. Le mari de Mme Richard appréciait particulièrement l'espace de stationnement.

Comme une brèche dans le paysage urbain, ce «shoe box» est bordé par deux édifices beaucoup plus volumineux. La verdure assure à la propriétaire un minimum d'intimité.

Photo François Roy, La Presse

Photo François Roy, La Presse