Tant qu’à se faire traiter de sénile, Joe Biden aurait peut-être préféré être accusé de possession illégale de documents secrets.

Un peu comme ce juge québécois arrêté pour un simple vol à l’étalage, et qui avait plaidé l’aliénation mentale passagère, il y a 30 ans. La défense a fonctionné, mais c’était la fin de sa carrière.

Le rapport du procureur indépendant Robert Hur, publié jeudi, est favorable à Joe Biden à peu près sur toute la ligne. Oui, il a conservé illégalement des documents secrets du temps qu’il était vice-président des États-Unis (rappelez-vous, monsieur Biden : c’était du 20 janvier 2009 au 20 janvier 2017).

Mais il semble l’avoir fait de bonne foi, pour documenter sa propre carrière, et non dans une intention malicieuse. Les documents étaient dans son garage, sans protection, ce qui indique une intention plutôt innocente. Surtout, Joe Biden a lui-même dévoilé leur présence, a collaboré entièrement avec l’enquête et a donné aux enquêteurs un accès illimité à toute sa propriété.

Il n’y a aucun motif pour l’accuser de quoi que ce soit.

Si on arrête l’analyse ici, on voit le contraste avec Donald Trump : les autorités ont demandé plusieurs fois au milliardaire de rendre les très nombreux documents secrets qu’il avait emportés avec lui. Le FBI l’a exigé à répétition, avant de devoir perquisitionner dans ses immeubles. Trump a menti sur leur présence. Son avocat aussi. Son personnel a dissimulé une partie des documents. Etc.

Au point que Trump a été accusé devant une cour criminelle – c’est un de ses quatre dossiers criminels.

Le hic pour Biden, c’est que le procureur indépendant n’a pas arrêté son analyse à cette comparaison avantageuse.

Après avoir dit qu’il n’y avait pas de motif pour accuser Biden, le procureur a ajouté ceci (ma traduction) : « Nous avons aussi considéré le fait qu’au procès, M. Biden se présenterait probablement devant le jury de la même manière qu’il l’a fait lors de notre interrogatoire avec lui, comme une personne âgée sympathique, de bonne volonté, dotée d’une mauvaise mémoire. »

Ces observations ne sont pas du tout au centre de l’analyse. C’est un ajout, un argument supplémentaire : même si l’on décidait d’accuser Joe Biden, « il serait difficile de convaincre un jury de condamner un ancien président dans la quatre-vingtaine avancée d’un crime sérieux qui suppose un état mental capable de cette intention ».

Comme si ça ne suffisait pas, le procureur a noté que les réponses aux questions étaient « péniblement lentes », même lors d’interrogatoires remontant à 2017. Et pire encore, lors de l’entretien de l’automne 2023, Biden a montré plusieurs problèmes de mémoire – sur les années exactes de sa vice-présidence, l’année de la mort de son fils Beau, etc.

Ce n’est plus une photo d’un honnête président ; c’est le portrait de pépère Biden.

Les démocrates ont contre-attaqué vendredi en disant que le procureur Hur est lié aux républicains – il a été « clerc » à la Cour suprême pour l’ancien juge en chef conservateur William Rehnquist, notamment. Nombreux sont ceux qui critiquent aussi le procureur pour ces commentaires non nécessaires, voire mesquins.

PHOTO MICHAEL MCCOY, ARCHIVES REUTERS

Le procureur indépendant Robert Hur, en 2019

Mais ces protestations ne convaincront que les démocrates. Ces quelques phrases assassines dans un rapport d’enquête officiel et « indépendant » viennent de remettre au centre du débat la plus grande faiblesse de Joe Biden depuis 2020 : son âge.

Biden est reconnu pour trébucher dans ses propres phrases depuis au moins 40 ans. Mais ce qui passait pour un touchant problème de langage à 45 ans est associé à un déclin cognitif à 81 – il aura 82 ans en novembre, un record.

On a beau vanter son bilan, solide à plusieurs égards, sa seule présence physique évoque la fragilité. Va-t-il tomber ? Va-t-il se tromper ? Comment cette phrase va-t-elle finir ?

Dans la même conférence de presse où il se défendait cognitivement, il a confondu les présidents égyptien et mexicain. Une semaine après avoir parlé de Mitterrand (1916-1996…) au lieu de Macron.

Deux jours plus tôt, à Saturday Night Live, Nikki Haley avait fait une blague au sujet de Trump et Biden en citant le film Le sixième sens : I see dead people. Voulant dire : ces deux gars vont mourir.

Quand Biden a confondu Macron et Mitterrand, elle a repris le gag en écrivant sur X ce qui est probablement la « ligne » de la semaine : I see dead people (je vois des gens morts)…

Biden est-il en état mental de gouverner la plus grande puissance économique et militaire ? La question est cruciale. Mais à neuf mois de l’élection présidentielle, le problème n’est pas psychiatrique. Il est politique. Dans chaque point de presse d’ici le jour J, on pourra légitimement tester l’état du cerveau de Biden.

Même chose pour Trump ? Oui et non. Les adversaires de Trump veulent le présenter comme confus, vieillissant. Mais à 77 ans, l’ex-président dégage encore une incroyable impression de force physique et d’endurance. Ce n’est pas tant son déclin cognitif qui est attaqué, mais sa personnalité.

Ce n’est pas seulement une question d’âge. C’est aussi une question de style, et de perception. Les gens de 81 ans ne sont pas tous égaux à cet égard.

Mais c’est quand même une question d’âge. Passé 80 ans, le fardeau de la preuve est sur les épaules du candidat.

Les démocrates n’ont pas beaucoup de temps pour démontrer que leur candidat est autre chose qu’un grand-père aimable mais un peu perdu. Ils ne pourront pas le cacher à moitié comme en 2020, pour cause de pandémie. Il faudra l’exposer. Le mettre à l’épreuve.

C’est président Biden ou pépère Biden ?

Autrement, il faudra un plan B, et vite…