François Legault a fait cette semaine un inacceptable amalgame entre immigration et violence. Il s’est excusé, c’est ce qu’il fallait faire, mais je lui en veux encore. Triplement.

Je lui en veux d’abord parce que ce genre de déclaration blesse des gens déjà victimes d’amalgames honteux.

Je lui en veux parce que ce genre de déclaration blesse le Québec en alimentant le discours de ceux qui nous méprisent déjà.

Mais je lui en veux pour une troisième raison.

J’en veux à monsieur Legault parce qu’en s’exprimant d’une façon brouillonne, mal préparée, sur un sujet aussi délicat, il a provoqué un tollé qui nous empêche de regarder en face le dossier de l’immigration, un enjeu fondamental pour le Québec, un enjeu constamment enseveli sous les étiquettes, les procès d’intention, le clientélisme méprisable et l’information spectacle.

Pourtant, un débat sur l’immigration, serein et respectueux, est nécessaire (et il était plutôt bien commencé). Le Québec est, aujourd’hui même, un des États qui, par habitant, accueillent le plus d’immigrants au monde. Plus que les États-Unis, plus que la France, plus que l’Italie.

Nous sommes un exemple d’ouverture et, à cet égard, nous n’avons de leçons à recevoir de personne.

Pour l’immense majorité des Québécois, il est évident que cette immigration massive change le Québec en mieux. Elle enrichit notre culture littéraire, musicale, télévisuelle, sportive, culinaire, et j’en passe. Elle nous donne accès à d’autres visions du monde. Elle nous permet de mieux comprendre les réalités d’une planète complexe et de jeter des ponts entre nous et les autres nations.

Il est également évident que cette immigration massive suscite des inquiétudes. Bien des pays comme les États-Unis, l’Angleterre, la France, l’Allemagne ou encore la Suède vivent des tensions politiques qui devraient nous avoir appris qu’il est absolument toxique de réduire ces inquiétudes à de l’hostilité à l’immigration et de traiter les gens inquiets de tous les noms plutôt que de les écouter.

Nous devons répondre à ces inquiétudes non seulement parce qu’elles sont valables, mais également parce qu’il faut les gérer pour pouvoir construire une société tricotée serrée entre les anciens et les nouveaux Québécois. Quelles sont donc ces inquiétudes ? Je n’en nommerai que deux, pour aujourd’hui.

Première inquiétude, la plus évidente. Nous sommes une petite nation, une nation de langue française unique en Amérique du Nord, qui représente seulement 2 % de ce continent. La lutte pour le français ne sera donc jamais définitivement gagnée, mais elle peut être perdue à jamais. Aujourd’hui, peu importe l’indicateur que l’on choisit, le français recule partout au Québec. Il recule encore plus vite encore partout au Canada. Il recule d’abord et avant tout parce qu’un nombre trop grand d’immigrants choisit l’anglais plutôt que le français. C’est mathématique. Il y a toutes sortes de solutions applicables, mais les seuils d’immigration en font partie et nous devons en débattre.

Deuxième inquiétude. On pourrait l’appeler l’inquiétude identitaire, elle aussi légitime. Deux conceptions du « nous » s’affrontent au Canada. Le Canada se définit comme un pays postnational, sans tronc culturel commun, formé de multiples communautés. Son « nous » vient donc de ce fourmillement de différences.

Le Québec, pour sa part, se définit comme une nation ayant une identité propre. Il ne veut pas être considéré comme une communauté parmi d’autres, ce qu’implique un modèle canadien et ce que renforce une immigration massive.

Cette identité que nous voulons protéger est assez facile à découvrir… Notre musique, notre littérature, notre théâtre, notre télé, notre poésie, notre cinématographie, etc., sont uniques au monde. Même certaines de nos pratiques économiques sont originales, nous sommes une force mondiale en coopération et en économie sociale.

Notre tissu social est, lui aussi, différent. En Amérique du Nord, le Québec est le paradis des familles, la société la moins violente, la société la moins inégalitaire, celle où les pères sont les plus engagés auprès des enfants et celle où il y a le moins de pratique religieuse. Le Québec est deuxième au monde pour le taux d’emploi chez les femmes et l’État dans le monde où la différence entre le taux d’emploi des hommes et celui des femmes est la plus petite.

La grande aventure québécoise en Amérique du Nord est étudiée par des chaires de recherche un peu partout dans le monde parce qu’elle est originale et précieuse. Nous aussi, nous enrichissons le monde !

« Ce n’est pas haïr l’autre que d’aimer son peuple », disait Léopold Sédar Senghor, et c’est ce que monsieur Legault aurait dû dire. J’aime le Québec, je ne veux pas qu’il devienne un melting pot à l’américaine ou à la canadienne. Je veux qu’il garde sa personnalité propre.

Quel est l’impact de l’immigration massive sur notre personnalité collective ? Sur l’originalité de notre culture ? Sur ce Québec qu’on aime ? Nous avons le devoir, collectivement, de nous poser la question. Nous avons aussi la responsabilité de le faire avec sérieux et respect.