Qui croit encore aux commissions militaires mises sur pied par le gouvernement américain pour juger les détenus de Guantanamo?

Depuis six ans que des «ennemis combattants» capturés en Afghanistan sont détenus sur cette base américaine à Cuba, pas un seul n'a subi de procès. Et celui qui est le plus attendu, celui du jeune Canadien Omar Khadr, vient de connaître un autre rebondissement inquiétant.

Tard jeudi, on annonçait le départ du juge Peter E. Brownback, responsable du procès de Khadr. Pourquoi est-il parti? Aucune explication n'a été donnée. Le juge n'a fait aucune déclaration.

C'est d'un «commun accord» avec l'armée que ce juge militaire, sorti de sa retraite en 2004, a décidé d'y retourner.

Comment ça, un «commun accord»? A-t-il été poussé vers la sortie? Il y a trois semaines, il se plaignait avec humour des pressions qu'on exerçait sur lui pour qu'il fasse avancer son procès. Il avait donné du fil à retordre au Pentagone, l'an dernier, en déclarant n'avoir aucune compétence pour entendre l'affaire, puisqu'on n'avait pas prouvé que Khadr est un «ennemi combattant illégal» - décision qui a été cassée en appel.

Il a également menacé de mettre fin au processus si le dossier de détenu de Khadr n'était pas remis à ses avocats le 22 mai - ce qui fut fait.

Certes, il a aussi secoué la défense. Mais le doute plane. Et on ne reprochera pas à l'avocat militaire de Khadr, William C. Kuebler, de constater que «le juge qui empêchait le gouvernement de faire avancer la cause à sa manière vient subitement de partir» et de trouver la chose «très bizarre».

Encore. Un des plus chauds défenseurs du système des commissions militaires, le colonel Morris Davis, a démissionné l'automne dernier de son poste de procureur de la poursuite.

En 2006, ce procureur descendait en flammes les médias qui osaient critiquer le processus. Il affirmait que les procès de ces tribunaux d'exception permettraient des procès «complets, justes et ouverts».

Il dit maintenant que c'est une honte d'appeler cette institution «commission militaire»: c'est une commission politique, dit-il, tellement la hiérarchie militaire tente de contrôler et d'influencer indûment le processus.

Au maximum, Guantanamo a accueilli un peu plus de 700 prisonniers. En douce, on a libéré la plus grande partie. Il en reste maintenant quelque 270. Dix sont présentement accusés. Mais aucun procès n'a encore eu lieu. Et l'objectif de compléter un procès avant l'élection présidentielle de novembre paraît de plus en plus incertain.

Un seul, un Australien, a plaidé coupable d'avoir «aidé matériellement» les terroristes d'Al-Qaeda. Il a été condamné à purger neuf mois de détention supplémentaires dans son pays.

Malgré deux jugements sévères de la Cour suprême, en 2004 et 2006, qui constataient des violations du droit américain et international, l'administration Bush a maintenu ces commissions, en faisant quelques aménagements.

Ce départ mystérieux du juge dans le procès d'Omar Khadr arrive une semaine après un jugement unanime de la Cour suprême du Canada. Jugement qui forcera les autorités canadiennes à fournir à Khadr le contenu des interrogatoires qu'il a donnés à divers représentants des services de renseignement canadiens - informations d'ailleurs transmises aux Américains.

La Cour suprême notait que normalement la Charte canadienne ne trouve pas d'application hors du territoire canadien. Mais comme les violations des droits ont été constatées par la Cour suprême américaine elle-même, il y a lieu de faire exception.

Il y avait là un message qu'évidemment le gouvernement Harper n'a pas saisi. Même la Grande-Bretagne réclame la fermeture de Guantanamo. Tous les pays occidentaux ont demandé à juger leurs ressortissants.

Le gouvernement canadien ne réclame même pas que Khadr soit jugé par la justice civile américaine. Il fait confiance au processus, contre toute raison.

Évidemment, avec un père fanatique, mort au combat pour Al-Qaeda, le cas de Khadr n'est pas sympathique aux yeux de tous les électeurs.

Mais comme l'explique la journaliste du Toronto Star Michelle Shephard dans un livre publié récemment (1), la question n'est pas là. Cet enfant avait 15 ans et 10 mois lorsqu'il a été envoyé au combat. Il n'a pas sa place dans ce type de prison, ni ce type de procès: nos engagements internationaux les condamnent clairement.

En plus, il a déjà purgé six ans pour un crime dont on est loin d'être certain qu'il soit coupable - le meurtre d'un soldat américain.

Jusqu'à maintenant, en effet, l'histoire était simple: après une attaque à la bombe sur des positions d'Al-Qaeda, des soldats américains s'approchent, croyant tous les combattants morts. Ils reçoivent une grenade et un soldat américain meurt. Ils tirent et arrêtent ensuite Khadr, seul survivant - donc seul suspect.

Mais une déclaration d'un soldat américain remise par erreur aux journalistes montre qu'il y avait un autre survivant et soulève plus qu'un doute.

Mais ces doutes-là n'énervent pas notre gouvernement, lui qui demeure un des derniers à faire confiance en cette sous-justice qui déshonore les États-Unis.