La mise en ligne récente de Divines par Netflix n'est certes pas passée inaperçue. Récompensé par la prestigieuse Caméra d'or du Festival de Cannes, remise au meilleur premier long métrage, le film d'Houda Benyamina ne sortira pas dans les salles de cinéma à l'extérieur du territoire français. Il est toutefois offert en exclusivité sur la plateforme du célèbre service de visionnage en flux continu.

Jusqu'à maintenant, Netflix était relativement discret sur le plan des acquisitions de productions cinématographiques internationales. Un coup d'oeil sur le catalogue de la société suffit pour remarquer l'absence de titres prestigieux, à l'exception du domaine du film documentaire. Les longs métrages québécois n'y ont presque pas droit de cité.

Il se trouve pourtant que le géant américain a été très actif dans les grands marchés du film depuis quelques mois. Au Festival de Cannes, Netflix a en outre acquis les droits d'exploitation de trois films français: Mercenaire (Sacha Wolff), Le voyage au Groenland (Sébastien Betbeder) et Divines (Houda Benyamina). Ces trois productions, plutôt modestes, ont été présentées sur la Croisette dans des sections parallèles. Qui sait si elles auraient pu vraiment intéresser les distributeurs locaux pour une distribution en salle?

Le cas de Divines marque bien sûr les esprits, car Netflix en a acquis les droits avant même que la Caméra d'or lui soit attribuée. Ainsi, les distributeurs québécois, qui auraient alors pu souhaiter en acquérir les droits d'exploitation, n'ont pas pu soumissionner. Contrairement à Amazon, qui est aussi très dynamique dans le domaine de la diffusion des longs métrages, Netflix exige l'exclusivité sur sa plateforme. Et n'autorise pas de carrière en salle pour les films que la société acquiert en primeur.

Beaucoup de cinéphiles s'en réjouissent. Surtout ceux qui habitent dans des régions éloignées des grands centres, où les films d'auteur sont difficilement accessibles.

Une réglementation réclamée

En revanche, la présence d'un tel géant dans le domaine de la distribution de films internationaux inquiète des distributeurs. Andrew Noble, président du Regroupement des distributeurs indépendants de films du Québec, réclame une législation afin que Netflix agisse selon les mêmes règles que tout le monde.

«Netflix n'étant pas une compagnie canadienne, elle ne paie pas de taxes ni de redevances au pays, indique-t-il. En ce sens, elle nous fait une concurrence déloyale et rit carrément de nous. C'est ridicule. Depuis longtemps, nous réclamons pour Netflix une réglementation semblable à celle que doivent respecter tous les distributeurs, diffuseurs et exploitants canadiens. Pour l'instant, on ne sent pas encore cette volonté du côté du gouvernement fédéral. L'investissement dans notre culture, c'est pourtant important. À plus ou moins long terme, toute notre industrie est menacée. Avec les moyens dont dispose une compagnie comme Netflix, il est évident que tous les films internationaux plus porteurs ne nous seront plus accessibles, d'autant que, déjà, nous devons rivaliser avec de grandes sociétés américaines comme Sony Pictures Classics.»

Même son de cloche du côté de l'Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec, dont le président est Gabriel Pelletier.

«En fait, je crois que la position de toutes les associations de notre industrie est unanime par rapport à Netflix, dit-il. Cette société doit contribuer au contenu canadien - ne serait-ce que sur le plan des taxes de vente - et jouer selon les mêmes règles que tout le monde. Bien sûr que pour un cinéaste, l'idée que son film puisse être vu sur une telle plateforme peut être attrayante. Mais si Netflix ne contribue pas substantiellement à la structure financière d'un film et l'achète au rabais en fin de marché, est-ce encore aussi attrayant?»

Une tendance lourde?

Patrick Roy, président d'Entertainment One Films Canada, est à la tête d'une société, Les Films Séville, qui est très active dans le domaine de la distribution, mais aussi dans celui de la vente de films québécois et canadiens sur le marché international. Ce qui veut dire, en clair, que le distributeur peut s'inquiéter de la présence de Netflix, et que le vendeur peut aussi s'en réjouir.

«Pour nous, Netflix est à la fois un concurrent et un client!»

Il poursuit: «Je comprends que l'exemple de Divines puisse susciter l'inquiétude, mais Netflix est quand même dans le décor depuis un bon moment, particulièrement du côté des films indépendants américains. Pour l'instant, sa présence ne m'inquiète pas trop parce qu'on ne sent pas encore de sa part une tendance lourde. Ça m'étonnerait beaucoup que Netflix se mette soudainement à acheter 15 grands films français.

«Si jamais, de notre côté, on recevait pour un film québécois une offre mondiale similaire à celle qu'a reçue Divines, on l'étudierait, bien sûr. Mais on évaluerait aussi les qualités des autres offres. Les vendeurs internationaux préfèrent encore faire affaire avec ceux qui serviront leur film au mieux. Personnellement, je favoriserai toujours la distribution en salle. Mais tous les modèles sont possibles.»

Photo fournie par Les Films Séville

Patrick Roy, des Films Séville