L'extradition du cinéaste polono-français Roman Polanski aux États-Unis, où il est accusé du viol d'une mineure en 1977, a été définitivement refusée par la justice polonaise, a annoncé vendredi le parquet de Cracovie qui a renoncé à son droit de faire appel de la décision.

L'analyse des motivations de la décision des juges «permet de reconnaître comme justifiée la décision du Tribunal régional de Cracovie de refuser la remise de Roman Polanski aux autorités américaines», selon le parquet.

«Ceci met un terme aux procédures judiciaires contre M. Polanski et sa situation légale est similaire à celle dont il jouit en Suisse», le pays qui en 2010 a rejeté la demande d'extradition américaine, a indiqué à l'AFP Jerzy Stachowicz, un des avocats du cinéaste.

Il revient désormais au ministre de la Justice de communiquer la décision du tribunal aux autorités américaines.

Or, le nouveau ministre conservateur Zbigniew Ziobro s'était prononcé dans le passé en faveur de l'extradition de M. Polanski.

«On ne peut protéger personne contre sa responsabilité pour un acte aussi odieux que celui d'avoir abusé d'une mineure», avait déclaré M. Ziobro, peu avant de devenir membre du gouvernement du parti conservateur catholique et populiste Droit et Justice (PiS) de Jaroslaw Kaczynski.

Pourtant, selon l'avocat de M. Polanski, «si le ministre respecte les procédures et les règlements il n'y a pas à s'inquiéter».

Néanmoins, le procureur général, légalement indépendant du ministre de la Justice, a encore pendant six mois le droit de casser la décision du parquet de Cracovie.

Le 30 octobre, le tribunal régional de Cracovie a conclu à «l'irrecevabilité de la demande d'extradition aux États-Unis du citoyen polonais et français Roman Polanski».

Dans les attendus de la décision de justice lus pendant plus de deux heures, le juge Dariusz Mazur s'est livré à un virulent réquisitoire contre la justice américaine. Selon lui, des juges et des procureurs américains ont «gravement violé les règles d'un fair trial (procès équitable)» dans l'affaire Polanski.

«Si la Pologne avait accepté la demande américaine d'extradition, elle aurait violé les droits de M. Polanski et du même coup, la Convention européenne des droits de l'Homme», a-t-il alors estimé.

Les États-Unis avaient adressé en janvier à la Pologne une demande d'extradition de Roman Polanski, qui vit en France, après une apparition publique à Varsovie du réalisateur du Bal des vampires et de Rosemary's Baby.

En 1977, en Californie, Roman Polanski, à l'époque âgé de 43 ans, avait été poursuivi pour avoir violé Samantha Geimer, alors âgée de 13 ans.

Après 42 jours de prison, puis sa libération sous caution, le cinéaste qui avait plaidé coupable de «rapports sexuels illégaux» avec une mineure s'était enfui des États-Unis avant l'annonce du verdict, craignant d'être lourdement condamné.

La ligne de défense de ses avocats polonais consistait à démontrer que la demande d'extradition n'était pas fondée, compte tenu de l'accord passé à l'époque entre le cinéaste et la justice américaine.

Aux termes de cet accord, accepté par le procureur et les avocats de la victime, selon eux, la peine prévue a été purgée par leur client, un point de vue partagé par le tribunal de Cracovie.

Le 22 septembre, en présence du cinéaste, ses avocats avaient présenté au tribunal de nouveaux documents, analyses d'experts et témoignages réunis pendant les précédents procès aux Etats-Unis et en Suisse.

Le 25 février, à la première audience, le cinéaste avait fourni pendant neuf heures des explications, à huis clos.

Les dates-clés de l'affaire Polanski

1977

- 10 mars: Roman Polanski, 43 ans, déjà un cinéaste mondialement connu, a une relation sexuelle avec Samantha Geimer, 13 ans, en marge d'une séance de photographie chez l'acteur Jack Nicholson, en Californie.

- 15 avril: début du procès pour viol, à la suite d'une plainte des parents. Polanski plaide non coupable.

- 8 août: il décide de plaider coupable de détournement de mineure. Un accord est conclu pour éviter un procès public mais il est condamné à passer trois mois en prison pour y subir des tests psychiatriques.

- 17 décembre: incarcéré à l'hôpital-prison Chino, en Californie, Polanski est libéré après un mois et demi.

1978

- 31 janvier: ayant appris qu'il risquait 50 ans de prison aux États-Unis, il se réfugie à Paris.

- 24 février: la justice américaine refuse de rendre un verdict par contumace.

1994

- 23 août: le procureur chargé de l'affaire exige sa présence devant le tribunal. Une nouvelle législation fixe le maximum de la peine à quatre ans. Le cinéaste avait mis un terme au procès au civil en échange du versement de 225 000 $ à sa victime.

2003

- 1er mars: Samantha Geimer lui «pardonne» publiquement. Elle souhaite la présence de Polanski à la cérémonie des Oscars.

- 23 mars: il obtient l'Oscar du meilleur réalisateur pour Le pianiste, mais est absent à Hollywood.

2009

- 26 septembre: arrestation de Polanski, sur mandat américain, à son arrivée à Zurich où il devait être honoré pour l'ensemble de son oeuvre.

- 28 septembre: il refuse d'être extradé. Une pétition internationale en faveur de sa libération recueille de nombreuses signatures, notamment de Martin Scorsese, David Lynch, et de deux ministres français, Bernard Kouchner (Affaires étrangères) et Frédéric Mitterrand (Culture).

- 25 novembre: la justice suisse accepte sa libération contre une caution de 4,5 millions de francs suisses. Il est assigné à résidence avec sa famille dans son chalet de Gstaad (Alpes suisses), avec un dispositif de surveillance et un bracelet électronique.

2010

- 22 janvier: un tribunal de Los Angeles rejette une requête de jugement par contumace des avocats de Polanski, soutenue par sa victime.

- 22 avril: une cour d'appel californienne rejette une demande d'abandon des poursuites, présentée par Samantha Geimer.

- 15 mai: l'actrice britannique Charlotte Lewis accuse Polanski d'avoir «abusé sexuellement» d'elle au début des années 80, quand elle avait 16 ans. Les avocats de Polanski la menacent de poursuites.

- 12 juillet: les autorités suisses rejettent la demande d'extradition américaine. Polanski est libre.

2014

- 30 octobre: les États-Unis demandent à la Pologne d'interpeller Polanski, en visite à Varsovie. Il est entendu par un juge et laissé en liberté.

2015

- 7 janvier: les États-Unis demandent son extradition à la Pologne.

- 30 octobre: un tribunal de Cracovie refuse l'extradition mais le parquet polonais peut encore saisir une cour d'appel.

- 27 novembre: l'extradition est définitivement refusée par la justice polonaise, annonce le parquet de Cracovie qui renonce à son droit de faire appel de la décision.