Il est de ces jours qui surgissent comme une cassure. À cet égard, le 20 juillet 2012 restera à jamais marqué d'une pierre noire dans les mémoires des amants du cinéma. Ce jour-là avaient lieu partout en Amérique du Nord les toutes premières séances nocturnes de The Dark Knight Rises, l'une des superproductions les plus attendues de l'année. Dans une salle d'Aurora, au Colorado, un type s'est mis à tirer sur tout ce qui bouge comme dans un mauvais film de série Z. Le bruit de ses armes semi-automatiques rutilantes acquises légalement s'est fondu à celui des effets en son surround du nouveau film de Christopher Nolan. 100 balles à la minute. 12 morts. Une cinquantaine de blessés.

Horrible tragédie. Acte déraisonné envers lequel on tente collectivement de trouver une explication, une logique, des liens directs de cause à effet. Qu'on ne trouvera évidemment jamais. Mais le fait que ce drame ait eu lieu dans une salle de cinéma aura évidemment soulevé la question de la culture de la violence dans laquelle baigne la prude Amérique. Et plus directement, celle à laquelle fait écho l'industrie du divertissement dans son ensemble, et du cinéma en particulier.

Examen de conscience

Le choc fut assez grand pour que même Harvey Weinstein, producteur de Quentin Tarantino depuis les débuts, c'est-à-dire, depuis Reservoir Dogs (pas tout à fait La mélodie du bonheur), en appelle à un examen de conscience. «Je pense que nous tous, en tant que créateurs de films, devons nous réunir et nous devons nous poser la question de nos responsabilités, a déclaré le nabab du cinéma au Huffington Post, en reconnaissant avoir travaillé sur des films très violents. Nous devons nous interroger sur la question, a-t-il ajouté, mais je ne sais pas si nous trouverons un jour une réponse.»

J'aurai toujours du mal à croire que la simple vision d'un film violent ou le fait de jouer à un jeu vidéo puisse pousser un individu à commettre l'irréparable. Un esprit détraqué trouvera toujours un prétexte, peu importe sa nature, pour réaliser ses plus sombres fantasmes. Cela dit, la culture de la violence semble être plus que jamais prisonnière d'un cercle vicieux qu'elle aura bien du mal à briser. Plus la société est violente; plus les créateurs y font écho dans leurs oeuvres artistiques. Le phénomène était flagrant au Festival de Cannes cette année. Des cinq films américains présentés en compétition, quatre, parmi lesquels deux sont distribués par The Weinstein Company, exaltaient cette culture où gangsters, psychopathes et meurtriers en tous genres sont mis à l'avant-plan. Ça vire presque à l'obsession. Non mais les boys, pourriez-vous nous parler d'autre chose que de vos guns de temps à autre?

Symbole

L'autre aspect de cette tragédie est plus symbolique. Christopher Nolan l'a d'ailleurs bien évoqué dans sa déclaration faite au lendemain de la tuerie: «Mon foyer se trouve dans une salle de cinéma, et je suis atterré à l'idée que quelqu'un puisse sauvagement souiller cet endroit innocent et plein d'espoir.»

De tout temps, la salle de cinéma a en effet servi de refuge à «ceux qui n'aiment pas la vie» (comme le disait François Truffaut), tout comme à ceux qui ont eu envie d'échapper à leur réalité le temps d'un film pour mieux entrer dans un autre univers.

Claude Lelouch, dont le père était juif, a souvent raconté que son amour du cinéma est né du fait que sa mère, recherchée par la Gestapo, le déposait enfant dans une salle de cinéma pour le cacher. Espace inatteignable, hors du temps, où la réalité extérieure n'est plus censée exister. C'est cette notion de sanctuaire inviolable que le tireur fou a aussi fait voler en éclats le 20 juillet. On lui en voudra éternellement.

Pour toujours?

Il est plutôt rare que les potins, euh, pardon, les «nouvelles artistiques», aient une influence réelle sur un plan de mise en marché. Pour la deuxième partie du dernier volet de Twilight (déjà?), on présume que les bonzes de Summit Entertainment doivent s'arracher les cheveux. L'escapade sentimentale de Kristen Stewart avec Rupert Sanders, son réalisateur de Snow White and the Huntsman, un homme marié (hon!), complique en effet un peu les choses.

Le prince charmant Pattinson (il ira chez Jon Stewart lundi) ayant mis sa Blanche-Neige Stewart à la porte du domicile conjugal, on imagine bien l'ambiance qui régnera en novembre lors d'une campagne visant à promouvoir l'ultime épisode des amours vampiriques entre Bella et Edward. Ironie du sort, on voit en toutes lettres sur l'affiche de The Twilight Saga: Breaking Dawn - Part 2 le mot «Forever». Si on ne peut même plus croire aux vues maintenant...