Jean Becker était de passage à Montréal, cette semaine, pour présenter son nouveau film, Dialogue avec mon jardinier, qui met en vedette Jean-Pierre Darroussin et Daniel Auteuil. Dialogue avec un homme qui aime et admire les acteurs.

Quand il a lu Dialogue avec mon jardinier d'Henri Cueco, Jean Becker a pensé à l'homme qui a construit sa petite maison dans l'île de Ré. Et, surtout, il a été frappé par la façon dont le jardinier en question s'exprimait: «Il a un jargon particulier, une honnêteté simple, une ingénuité sincère. Ses paroles sont aussi formidables d'étrangeté que de bon sens.» Et le cinéaste a eu envie de porter tout cela à l'écran.

Cela donne un film à la fois fidèle au livre - il porte le même titre et une bonne partie des mots du jardinier se retrouvent textuellement dans les pages du roman - et différent: pour qu'il y ait dialogue, il fallait, devant la caméra, deux personnages de semblable ampleur. Il a donc fallu étoffer le vis-à-vis du jardinier. Le peintre. «Ils sont un peu comme le rat des villes et le rat des champs», s'amuse Jean Becker, de passage à Montréal où son film était présenté à Cinémania avant de prendre l'affiche, vendredi, sur nos écrans.

Le rat des villes, donc, c'est un peintre qui a fait carrière à Paris et revient s'installer dans la maison où il a grandi. Le rat des champs, c'est le cheminot à la retraite qui va s'occuper du jardin du citadin. Ils s'étaient connus enfants. Étaient copains. Une amitié que Jean Becker et son coscénariste Jean Cosmos ont imaginée. Pour planter les racines d'une complicité ressuscitée qui, autrement, aurait été moins crédible.

Là n'était pas, toutefois, le plus grand défi de cette adaptation. Lui, se trouvait dans le fait «qu'il ne se passe pas grand-chose en-dehors des dialogues, imagés et amusants». Et touchant, au fur et à mesure qu'avance le récit.

Pour porter ce «pas grand-chose» à l'écran, il fallait des acteurs solides. «Bien sûr, en commençant à écrire, j'ai pensé à Jacques Villeret pour le rôle du jardinier», fait Jean Becker, qui a dirigé le comédien dans Les enfants du marais, Effroyables jardins, Un crime au paradis... Mais le 28 janvier 2005, Jacques Villeret est mort. «J'ai perdu un ami. Ça m'a complètement désarçonné.»

À un point tel que le cinéaste a mis le scénario de côté, et travaillé sur autre chose - l'adaptation du roman Deux heures à tuer de François d'Épenoux, qui prendra l'affiche en avril en France et met en vedette Marie-Josée Croze et Albert Dupontel.

Mais Dialogue avec mon jardinier l'habitait trop pour laisser le projet en friche. Il en a repris le labour. Et Sylvia Allegre, sa directrice de casting, lui a mentionné le nom de Jean-Pierre Darroussin comme possible jardinier. «Je l'avais vu dans Un air de famille, où son personnage véhiculait cette espèce d'ingénuité tranquille et regardait les autres avec beaucoup de gentillesse. Je l'ai bien vu dans le rôle du jardinier.» Ça tombait bien: le comédien a accepté immédiatement.

Restait à lui trouver un vis-à-vis. «J'ai envoyé le scénario à Daniel Auteuil, avec qui j'avais envie de travailler. Mais je pensais qu'il refuserait parce que ce n'était pas un premier rôle - en tout cas, au début, raconte le cinéaste. Surprise: 48 heures plus tard, il me contacte pour me dire qu'il acceptait. C'est qu'il possède cette intelligence d'acteur qui lui a permis de voir que le regard que le peintre allait poser sur l'autre, sur le jardinier, était aussi important que le jardinier.»

Le jardinier qui, le premier, accroche le spectateur. Parce qu'il est drôle. D'une sagesse toute terrienne. D'ailleurs, le film avance et le personnage, bien ancré en lui-même, ne change pas. Alors que celui du peintre, oui. «Il évolue en présence de l'autre, en le regardant vivre. Il va même jusqu'à reprendre, auprès de certaines personnes d'un autre cercle social, certaines des choses que lui a dites cet homme de terre et de bon sens.»

Le résultat est irrésistible. Comme Jean Becker quand il parle des acteurs. C'est qu'il aurait aimé être comédien. À étudié pour cela. «J'étais très mauvais.» D'où la très grande tendresse et l'immense admiration qu'il a envers ceux qui exercent ce métier. Pour cela, il déteste l'expression «direction d'acteur»: «Quand vous donnez un script à un comédien, dit-il, il n'est pas plus bête que vous, il sait lire et sait très bien, s'il accepte, ce qu'il va faire du personnage. Et moi, je me sers de ça, je leur laisse à bride sur le cou. S'il y a déviance, je rectifie le tir en parlant avec eux.» Pas en sortant le fouet.

Et l'humanité, la sincérité de Dialogue avec mon jardinier viennent certainement beaucoup de ces «dialogues avec mes acteurs»...