Présenté en clôture des 26es Rendez-vous du cinéma québécois, Adagio pour un gars de bicycle de Pascale Ferland (L'arbre aux branches coupées) est un documentaire lumineux sur la vie d'un passionné de moto, de musique et de cinéma, René Bail. Pour Pascale Ferland, «au-delà d'une leçon de cinéma, René Bail nous livre une leçon d'humanité».

René Bail est un des «remarquables oubliés» du septième art québécois. Figure de proue 100% indépendante du cinéma direct, René Bail marque, avec Les désoeuvrés, en 1950, toute une génération émergente de réalisateurs: voilà pour le cinéma. Brûlé lors d'un accident de moto en 1972, René Bail se retire du monde, et tombe dans l'oubli: voilà pour l'humain.

En 1959, Claude Jutra montre aux «branchés de l'époque» le film qu'a réalisé, seul, sans appui institutionnel, sans école de cinéma, René Bail: un film sur Pinehill et le «vrai monde». C'est un choc pour les réalisateurs de l'époque, et aussi pour l'ONF qui tente, en vain, de l'embaucher comme caméraman.

«René avait une aura mythique. Il faisait du cinéma, mais il en était détaché. C'est un des mentors de Gilles Carle, Jean-Pierre Lefebvre, Jean-Claude Labrecque», raconte Pascale Ferland. L'homme délaisse le cinéma pour la motocyclette, et apparaît parfois, dans les films de ses amis, dans des rôles de motard.

Après son accident, en 1972, René Bail est occulté. C'est par Richard Brouillette que Pascale Ferland le rencontre. Atteint du cancer, René Bail s'éteint lentement. Richard Brouillette lui propose de finir Les désoeuvrés, un film commencé 50 ans plus tôt. «Ça l'a sauvé de la mort», croit Pascale Ferland. Et de l'oubli.

Pascale Ferland propose alors de filmer la fin du montage des Désoeuvrés, et surtout, les retrouvailles du cinéma québécois avec l'un de ses pères. René Bail se laisse convaincre, laisse la jeune femme l'approcher, mais n'en finit pas de lui dicter des règles de conduite.

«Il était insupportable, il n'arrêtait pas de me dire quoi faire. J'ai arrêté le film. Un an plus tard, il m'a rappelée et il m'a dit: je te donne carte blanche. On était en 2004. Je suivais alors le montage des Désoeuvrés. Quand le film est sorti, c'est là que j'ai attaqué un tournage plus intime avec lui», explique Pascale Ferland.

Le vrai visage de René Bail

Le documentaire montre les films qui ont inspiré René Bail, mais aussi ses courts métrages, et des extraits des Désoeuvrés. Mais la force d'Adagio pour un gars de bicycle tient surtout dans le rapport de confiance qui s'est instauré entre la jeune réalisatrice et le vieil homme.

Soutenir le regard d'un homme mutilé (René Bail a été complètement défiguré par son accident, et a été amputé d'une jambe à cause de son cancer) n'est pas exactement chose facile. Parce qu'elle le traite en égal, sans condescendance ni fausse pudeur, la réalisatrice permet au spectateur de rencontrer l'homme, René Bail.

«Moi, à l'écran, je le trouve beau. René transcende son corps, dit la réalisatrice. C'est un être humain, et son accident aurait pu m'arriver, aurait pu nous arriver. Cela nous amène à un niveau de réflexion qui va au-delà du physique. Dans un gros plan, on va chercher l'émotion. Et René, lui, il l'a. Il a des choses à dire, une passion à transmettre.»

Il faut le voir retomber en enfance en revoyant un film. Il faut le voir s'émouvoir de la musique, il faut le voir montrer à la caméra ses 80 versions du Sacre du printemps. Il faut le voir, aussi, sortir un peu de sa carapace, pester contre son accident, sans jamais renier son amour inconditionnel pour les motos.

René Bail est mort quelques jours après la fin du montage d'Adagio pour un gars de bicycle, rattrapé une fois encore par le cancer. Quelques mois avant sa mort, Pascale Ferland lui a demandé s'il avait déjà songé au suicide. La réponse est immédiate: «J'aime la vie», lui répondait, simplement, un homme pourtant malmené par l'existence.