Les festivaliers cannois ont eu droit hier à une présentation toute spéciale de Che, le diptyque tant attendu de Steven Soderbergh. Les deux parties ont en effet été montrées l'une à la suite de l'autre, séparées par un petit entracte de 15 minutes. Plus de 4h30 de projection d'un film qu'aucun générique ne pouvait accompagner. Soderbergh est en effet arrivé sur la Croisette avec une copie à peine sortie du laboratoire.

Disons-le sans détour: ce tour de force mérite l'admiration. Soderbergh, dont le tout premier long métrage, Sex, Lies and Videotape, avait obtenu la Palme d'or il y a 19 ans, se tire avec les honneurs d'un projet ambitieux (fou diraient certains), porté par un Benicio del Toro complètement habité par l'âme d'Ernesto Guevara, celui qui, dans l'imaginaire collectif mondial, symbolise l'époque des mouvements de libération.

La première partie du diptyque, qui raconte la montée de la révolution cubaine dans les années 50, est saisissante. Alors que le Che est interviewé par une journaliste américaine lors de son passage à New York (aux Nations unies), l'histoire de son engagement auprès de Fidel Castro est relatée de façon très franche, très directe.

Point de longs discours philosophiques ici; la guérilla s'organise en livrant bataille d'abord dans les montagnes, pour ensuite avancer dans les petits villages, puis dans les villes. Chaque avancée rapproche les révolutionnaires de leur objectif: la chute du régime Batista. Empruntant le point de vue du Che, Soderbergh - qui signe aussi les très belles images sous le nom de Peter Andrews - filme alors au scalpel, sa caméra faisant autant écho à l'âpreté de la lutte révolutionnaire qu'à l'aspect romanesque que comporte tout combat idéologique.

Le cinéaste se serait arrêté là qu'on aurait déjà eu droit à un film remarquable à tous les points de vue. Scénario, structure (belle utilisation du noir et blanc et de la couleur), mise en scène, interprétation, tout est impeccable.

Cela dit, les notes de production indiquent que si le premier film - remarquable, répétons-le - sur la révolution cubaine existe, ce serait pour mieux «mettre la table» pour l'épisode suivant, qui est à l'origine du projet.

Or, la deuxième partie du diptyque, dans laquelle on retrouve Guevara en Bolivie une quinzaine d'années plus tard, là où il tente d'amorcer la «grande révolution latino-américaine», paraît un peu moins bien maîtrisée sur le plan du récit. Bien réalisé, ce volet comporte quand même des moments un peu plus flottants. Il est aussi un peu structuré comme une lente agonie, annonciatrice du destin tragique qui attend le Che là-bas.

C'est d'ailleurs dans cette partie bolivienne qu'apparaît Marc-André Grondin dans le rôle de Régis Debray, alors journaliste militant. S'exprimant en espagnol (avec un accent), le jeune acteur québécois n'a pas l'occasion de se faire valoir mais son personnage est quand même significatif dans le récit.

À l'arrivée, il faut par ailleurs ici louer l'intelligence d'un cinéaste qui aura su se servir de son pouvoir à bon escient. Soderbergh a fait honneur à la culture des protagonistes en tournant ses films entièrement en espagnol. Seules quelques répliques de quelques personnages américains sont en anglais. Même Matt Damon - dans une participation - joue dans la langue de Cervantès! Le réalisateur de Traffic s'est ainsi lancé dans l'aventure sans même être assuré d'une distribution dans son propre territoire national.

Estimant l'entreprise trop risquée, plusieurs distributeurs américains attendaient en effet de voir les films avant de décider s'ils allaient tenter d'en acquérir les droits ou pas. Il n'est pas plus possible de vous dire quand ce diptyque prendra l'affiche chez nous, ni dans quelle forme. Souhaitons simplement que la présentation d'hier soir, après laquelle ces toutes premières impressions ont été écrites, ait un effet persuasif.

Notre critique

Che
* * * 1/2