Dix ans après avoir lu C'est pas moi, je le jure! de Bruno Hébert, Philippe Falardeau réussit enfin à porter au grand écran l'histoire de son héros: un garçon de 10 ans qui prouve à tous qu'il n'est pas comme les autres.

Un récit estival campé dans la verdure de Saint-Michel. Une caméra plus statique. Une mise en scène qui fait la part belle aux plans d'ensemble. Pour son troisième long métrage en carrière, Philippe Falardeau n'a pas fait dans la redite. Il n'a pas pondu de suite à La moitié gauche du frigo ou à Congorama.

Comme Francis Leclerc avec Un été sans point ni coup sûr, Philippe Falardeau plonge cette fois dans l'enfance, visite le Québec de ses parents en même temps qu'il démocratise son oeuvre. «J'ai peur des attentes, confie-t-il. Ce film n'est pas le fruit d'un effort conscient pour rendre mon histoire plus accessible, mais je serais déçu si ça n'attirait pas plus de spectateurs que Congorama.»

À 40 ans, Philippe Falardeau ne suit plus uniquement la voie du cinéma d'auteur, à laquelle il était souvent identifié. «C'est plus confortable de nous caser, estime-t-il. J'ai l'impression de traîner un boulet, à cause de l'aspect répertoire de mes deux premiers films.»

S'il penche vers une forme artistique moins hermétique, le réalisateur dit néanmoins être resté ce qu'il est. «Mon oeuvre n'est pas linéaire, mais il y a une continuité. Il reste la façon de mettre le drame en scène avec humour. Et dans mes trois films, on est dans la recherche identitaire.

«Je ne ferai pas 20 films dans ma vie, ajoute Philippe Falardeau. C'est donc plaisant d'explorer chaque fois. Cela dit, j'ai l'impression que le cercle a été fermé avec C'est pas moi, je le jure! Je vais maintenant revenir avec des films au canevas social plus fort.»

«C'est la première fois que Philippe opte pour une cinématographie classique, estime Daniel Brière, vedette de C'est pas moi, je le jure!, que l'on a aussi vu dans La moitié gauche du frigo. Je l'ai senti sur le plateau que ce n'était pas son langage habituel. On n'était pas dans la caméra à l'épaule. Il pensait champ, contrechamp par exemple.»

L'histoire avant la forme

Si le réalisateur et scénariste nous présente C'est pas moi, je le jure! aujourd'hui, c'est parce qu'il a pu sur-le-champ traduire en images, dans sa tête, chaque page lue du roman du même nom de Bruno Hébert. «Dès la page 3, je griffonnais dans la marge du livre, relate-t-il. Je voyais le film. L'enfant (le héros de l'histoire) était dans l'action, contrairement à beaucoup d'autres qui subissent l'action. J'admirais qu'il aille au bout de ses pulsions.»

C'était en 1997. Le réalisateur avait, en gros, comme fait d'armes le documentaire Pâté chinois. Il a néanmoins passé un coup de fil à l'éditeur, qui lui a appris que les droits du roman avaient déjà été achetés.

Le projet n'ayant pas pris forme dans les temps requis, les droits du roman sont toutefois redevenus disponibles. «J'ai alors ressorti le livre et mes notes, raconte Falardeau. Par la suite, Louis Bélanger m'a dit d'acquérir aussi les droits d'Alice court avec René, autre roman avec le même héros.»

C'est pas moi, je le jure!, le film de Falardeau, raconte ainsi l'histoire de Léon, un garçon de 10 ans qui s'estime différent des autres enfants. Alors que dans le Québec de la fin des années 60, le divorce est encore tabou, Léon doit subitement composer avec la fuite de sa mère (Suzanne Clément) vers la Grèce. Et ce, pour un temps indéterminé.

Léon demeurera seul avec son grand frère, son père (Daniel Brière), sa tristesse et le secret de sa famille. «La mère respire la liberté, note Philippe Falardeau. Elle est délinquante dans sa façon de s'habiller et de parler à Léon. Elle partage la délinquance de son fils. Mais dans ces années-là, c'était beaucoup plus facile de dire: mon père nous a laissés. Ça rendait les enfants moins aimables quand c'était la mère qui partait.»

Chez Léon, l'espoir de revoir maman fera lentement place à un désir de tout détruire sur son passage. De faire le mal plus que le bien en agissant consciemment en mauvais garnement. «Chez Léon, ce n'est pas de l'inconscience. C'est jouissif, précise Falardeau. Il finit par se responsabiliser. Chez lui, il y a un combat constant entre le bien et le mal.»

«Jeune, j'admirais les délinquants, car ils allaient au bout de leur liberté, confie Falardeau. Moi, j'avais trop peur de mes parents pour agir de la sorte.