Même dans ses rê­ves les plus fous, Sébastien Ricard n'au­­­­rait jamais pen­­­­sé un seul instant se retrouver en alter ego de Dédé Fortin au grand écran. Il n'était pas un fan du regretté chanteur. Sa discothèque ne comptait aucun album des Colocs. Il con­naissait les chansons du grou­pe pour les avoir entendues à la radio, sans plus.

Une fois passé l'étonnement de voir  le réalisateur Jean-Philippe Du­val lui offrir d'incarner le mythique chanteur disparu tragiquement en 2000, le comédien de 36 ans a préféré tourner le dos au projet. À ses yeux, la mort dramatique de Fortin était encore trop fraîche. Il cultivait aussi une méfiance à l'égard du maître d'oeuvre du projet.

«Je croyais avoir affaire à une entreprise opportuniste, quelque cho­se de pas trop sérieux, fait sur le coin de la table. Un objet de curiosité sur un gars qui se faisait hara-kiri à la fin. Ça sentait mauvais pour moi...» explique-t-il au Soleil, à l'occasion de la tournée de l'un des films québécois les plus attendus de l'année, en salle la se­­maine prochaine.

De longues discussions avec Jean-Philippe Duval et une étude approfondie de son curriculum étoffé ont fini par avoir raison de ses réticences. Dès lors, le comédien savait qu'il pouvait plonger en toute confiance dans son premier grand rôle au cinéma.

Saisir l'invisible

Deux ans plus tard, totalement imprégné de la vie et de l'oeuvre de Dédé Fortin, le comédien qui partage sa carrière entre le théâtre (Les oranges sont vertes,  La dame aux camélias) et le petit écran (Tabou, Fortier,  Les hauts et les bas de Sophie Paquin) parle d'une «grande chance» et d'un «alignement des planètes» pour décrire le parcours qui l'a mené jusqu'à Dédé à travers les brumes.

Tournage oblige, les chansons des Colocs, Ricard les connaît maintenant par coeur. «Ses tounes, je les trouve bonnes, ça groove... Ses textes sont simples sans être simplistes. Ses paroles ne sont jamais sottes. (...) J'écoute Dehors novembre et c'est un grand disque. Ses chansons sur son mal de vivre et sa solitude, ça rentre dedans, ça m'émeut encore. Il fallait trouver les mots pour le dire. C'était dur, ça ne devait pas venir facilement.»

L'intérêt détaché de jadis à l'égard de l'oeuvre de Dédé Fortin s'est transformé en une admiration sans borne. «J'étais conscient du personnage, mais inconscient de son oeuvre. Je suis extrêmement admiratif de ce qu'il a fait. Je suis maintenant en mesure de juger de son impact au Québec.»

Pour se nourrir du personnage, Ricard a évidemment parlé à son entourage et visionné les archives de ses spectacles. Outre l'aspect physique, il a conservé surtout son débit de parole rapide. Le reste relevait de l'invisible. «J'ai surtout voulu saisir son esprit, trouver cette petite chose indicible et innommable.»

Fibre nationaliste

Le Batlam de Loco Locass, groupe rap engagé pour l'indépendance du Québec et la sauvegarde du français, a aussi trouvé en Dédé Fortin un artiste qui partageait la même vision politique. Dans la déprime postréférendaire, il a persisté à creuser le sillon de l'identité québécoise, dans des chansons faites de mots de tous les jours, tout en plaidant pour une ouverture à l'autre, estime Ricard.

«L'acte de résistance, ce n'est pas un acte de repli. Et justement, Dédé Fortin ne s'est pas replié sur lui-même. Il voulait un Québec ouvert sur les autres cultures. Sa façon d'intégrer le wolof (des frè­res Diouf) à la chanson Tassez-vous de d'là a fait un hit. Dix ans avant le débat sur les accommodements raisonnables, il avait une idée moderne du Québec et sur la façon d'intégrer les cultures sans s'appauvrir.»

Une séquence du film montre Dédé Fortin, le soir du référendum de 1995, au Spectrum, prêt à célébrer la victoire du Oui. On connaît la suite. Dédé Fortin a vécu l'un des plus grands chagrins de sa vie. «On a parlé ce soir-là qu'on était à la veille de vivre une seconde Révolution tranquille, qu'on était prêts pour faire le grand saut. Je trouve ça formidable qu'on se souvienne de cette soirée pour autre chose que l'argent et le vote ethnique...»