Deux films; deux rôles aux antipodes. Héroïne coincée dans un univers trouble dans Crime d'amour, ou femme enfant fragile dans Pieds nus sur les limaces, Ludivine Sagnier module ses notes sur tous les registres. Rencontre.

Au moment de cette rencontre, au Festival de Toronto, le cinéaste Alain Corneau venait de mourir. Trop vite. Trop tôt. Encore sous le coup de l'émotion, Ludivine Sagnier, covedette de l'ultime film du réalisateur de Tous les matins du monde, tenait à conjuguer ses phrases au présent, comme pour mieux conjurer un destin qui emprunte parfois des avenues absurdes.

«Chaque film d'Alain transpire son amour du cinéma, souligne l'actrice. Quand il m'a téléphoné la première fois pour me parler de ce projet de film, j'étais à Deauville, jurée dans un festival consacré à des films orientaux. Il m'a alors parlé de cinéma asiatique pendant une heure - c'était passionnant - avant d'évoquer le projet qu'il avait en tête et le rôle qu'il me destinait.»

Ce projet s'inscrivait d'emblée dans la frange plus sombre de l'oeuvre d'un cinéaste qui, de La menace jusqu'au Cousin, en passant par Série noire et Le choix des armes, a toujours aimé se frotter au film noir. Dans Crime d'amour, thriller que Corneau a coscénarisé avec Natalie Carter (Un secret), Ludivine Sagnier incarne une jeune employée travaillant sous les ordres d'une femme de pouvoir qu'elle admire, interprétée par Kristin Scott Thomas. Un lien trouble, teinté de perversion, se créera entre les deux femmes.

«J'ai pris un vrai plaisir de lectrice quand j'ai lu ce scénario, au-delà même de l'attention que je devais porter au personnage que j'aurais à jouer, fait-elle remarquer. Comme un bon polar qu'on lit sur la plage ou bien installé sur son canapé. Alain est un cinéphile accompli, son film est truffé de références aux grands maîtres du genre. Mais l'histoire qu'il raconte est très contemporaine.»

Phénomène étrange

Le récit fait en effet écho au monde du travail, de plus en plus exigeant pour les individus, de même qu'à la place que les femmes y occupent, particulièrement dans les grandes entreprises.

«Personnellement, ce milieu m'est tellement étranger qu'il apparaît carrément exotique à mes yeux, indique celle qui fut révélée par François Ozon dans Gouttes d'eau sur pierres brûlantes et 8 Femmes. Or, plusieurs femmes sont venues me voir pour me dire à quel point elles s'identifiaient à mon personnage, qu'elles étaient souvent victimes d'une pression hiérarchique dans leur milieu professionnel. Évidemment, la situation est poussée à l'extrême dans le film. Mais ça existe.»

Un peu comme dans Swimming Pool, où elle donnait la réplique à Charlotte Rampling, Ludivine Sagnier prête ici ses traits à un personnage coincé dans une dynamique antagoniste avec une femme plus mûre.

«Il se passe un phénomène étrange quand on doit jouer ce type d'histoire, fait remarquer l'actrice. Plus la relation des personnages est conflictuelle, plus grande est la complicité entre les comédiennes! Il y a un plaisir enfantin à jouer la confrontation. Entre les prises, on s'amusait comme de vraies gamines, Kristin et moi! Il y a aussi quelque chose de très stimulant dans ce genre de joute. Cela s'apparente à une compétition sportive de haut niveau. Évidemment, on aime toujours se mesurer aux meilleurs.»

Le scénario de Crime d'amour misant sur les apparences de vérité, les actrices devaient aussi être à la hauteur de l'exigence du metteur en scène.

«Dans la vie, Alain est un homme très souriant, affable et très attachant. Sur un plateau, il est tellement pris par son film qu'il en devient très tendu. Il est précis, obsédé par l'ordre, même un peu martial dans son attitude. Et d'une rigueur absolue. Il le faut pour un film comme celui-là, qui repose sur une mécanique très précise.»

Une carrière internationale?

Actrice depuis maintenant plus d'une dizaine d'années, Ludivine Sagnier apprécie l'exercice du jeu encore plus qu'auparavant. «Au début, on aborde ce métier avec une espèce d'insouciance et une grande soif d'absolu. On est prêt à souffrir, à tout sacrifier pour notre art. Avec la maturité, on apprend à mieux se protéger, ce qui, paradoxalement, nous permet d'aller encore plus loin.»

Depuis Crime d'amour, Ludivine Sagnier a tourné Pieds nus sur les limaces (voir l'interview avec la réalisatrice Fabienne Berthaud), de même que The Devil's Double. Réalisé par Lee Tamahori (Once We Were Warriors), ce film est inspiré par l'histoire véridique d'un homme chargé de servir de double à l'un des fils de Saddam Hussein.

«Une carrière internationale m'intéresse, mais pas aux États-Unis plus qu'en Corée ou au Japon, conclut l'actrice. Ce qui m'intéresse, c'est la liberté!»

Crime d'amour d'Alain Corneau. Aujourd'hui à 19h et demain à 10h45 au Cinéma Impérial. Pieds nus sur les limaces de Fabienne Berthaud. Aujourd'hui à 14h45 et mercredi à 16h30 au Cinéma Impérial.