Dans De bon matin, de Jean-Marc Moutout, Jean-Pierre Darroussin incarne Paul Wertret, cadre supérieur d’une banque, écarté par la haute direction, qui décide de se venger. Une fusillade et deux morts plus tard, on refait, en flashback, le fil récent de sa vie.

> Notre entrevue avec Jean-Marc Moutout


De bon matin, présenté mercredi soir et jeudi dans le cadre du Festival du nouveau cinéma, explore les zones sombres d’un homme poussé dans ses derniers retranchements, humilié, qui refuse d’abdiquer. Au point de passer de victime à coupable.

Avec son flegme caractéristique, Jean-Pierre Darroussin, taciturne, tout en nuances à l’écran, s’attaque à l’un des plus beaux rôles de sa carrière. Un parcours d’acteur qui l’a vu collaborer étroitement avec son ami metteur en scène Robert Guédiguian (14 films au compteur), en plus de tenir des rôles marquants dans les films de cinéastes tels François Dupeyron ou Cédric Klapisch.

«C’est un très beau rôle, dit Jean-Pierre Darroussin, de passage à Montréal pour la semaine. Être autant au coeur d’un film exige un engagement et une concentration de chaque instant. On se donne et on n’a pas l’impression que c’est pour rien!»

Malgré sa filmographie impressionnante, le comédien de 57 ans, César du meilleur acteur dans un second rôle pour Un air de famille, ne trouve pas de parallèle entre Paul Wertret et d’autres personnages qu’il a interprétés au cinéma. Il y a en revanche, selon lui, des affinités entre Paul et l’Oncle Georges du Génie de la forêt de Tchekhov, qu’il a joué au théâtre.

«Voilà quelqu’un qui a consacré sa vie à faire prospérer une entreprise et qui se retrouve déconsidéré, négligé, spolié même. Se sentant trahi, il développe une immense amertume, et finit par aller vers le désespoir et la vengeance. Comme beaucoup de gens, sa fierté, sa dignité, son existence passent par la reconnaissance de ses compétences. Ce qui est souvent dangereux.»

Phénomène de société

Ce film «social» du Français Jean-Marc Moutout, avec qui Darroussin tournait pour la première fois, a été inspiré d’un fait divers en Suisse.

«Ce personnage n’est pas à plaindre socialement, dit l’acteur. Il a une belle maison au bord d’un lac, un bateau, un boulot stimulant, mais il refuse une retraite dorée. Il s’agit d’un fait divers réel. Pour comprendre comment quelqu’un en arrive à ça, il faut que le personnage n’ait aucune échappatoire.»

De bon matin rejoint l’actualité en ce qu’il traite des abus des institutions financières et des pressions de ceux qui consacrent leur vie à de grandes entreprises, parfois au péril de leur santé.

«On s’est retrouvé récemment avec des dizaines de morts chez France Telecom, Orange ou encore Renault, rappelle Jean-Pierre Darroussin. Des grandes entreprises si fières de leur réussite que plus rien ne semblait arrêter la loi de la jungle. J’ai lu sur la souffrance au travail, et comment les conflits au sein des entreprises finissent par tuer, directement ou indirectement, quasiment autant de gens que sur les routes. C’est un vrai phénomène de notre société, en France du moins.»

Le complice Guédiguian

L’acteur est de passage à Montréal où sa fille vient d’entamer des études universitaires. Il compte d’ailleurs y revenir pour la sortie au Québec du nouveau film de Robert Guédiguian, Les neiges du Kilimandjaro. Un cinéaste à qui il a accordé depuis le début de sa carrière une fidélité exceptionnelle.

«J’ai connu Robert bien avant qu’il ne soit metteur en scène, dit-il. Nous sommes amis. Au début, il ne s’agissait pas de travailler avec un metteur en scène reconnu, mais de travailler avec un pote qui cherchait à faire du cinéma. Avant de connaître du succès avec ses films, on en a fait plusieurs qui n’avaient pas de reconnaissance. Il y a eu depuis une perpétuation du travail, qui a fini par devenir une oeuvre commune.»

C’est la compagnie de production de Guédiguian qui a encouragé Darroussin à passer lui-même derrière la caméra, «un vieux désir», pour le très réussi Le pressentiment (2006). Un film que le cinéaste finlandais Aki Kaurismäki a vu trois fois, et qui lui a inspiré le choix de Darroussin pour son nouveau film, Le Havre, très bien accueilli à Cannes en mai.

«C’est très particulier de travailler avec lui, dit l’acteur. Il tourne avec une caméra de 1974, que du très vieux matériel. C’est quelqu’un qui ne se résout pas à perdre ce qu’il a aimé. Et qui filme les gens et les objets qu’il aime. C’est assez agréable d’être filmé par lui!»

Jean-Pierre Darroussin a tourné l’été dernier un film en Suède avec Anne Novion, et compte prendre du temps cette année pour travailler à deux scénarios de films qu’il espère éventuellement réaliser. «Lorsque je pratique mon métier d’acteur, je ne suis pas là pour défendre mes intérêts, mais pour défendre ceux du metteur en scène. C’est différent quand je suis réalisateur!»

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De bon matin, mercredi soir, 19h, à eXcentris, et jeudi, 21h15, au Quartier Latin.