L'édition anniversaire du FFM n'est pas placée sous les meilleurs auspices, mais les déboires des derniers jours ont été oubliés l'espace de quelques heures. La soirée d'ouverture, marquée par la présence de l'imposante équipe d'Embrasse-moi comme tu m'aimes, fut très courue.

Pour un peu, on se serait cru, le temps d'une soirée, pendant les plus belles années du Festival des films du monde. Plusieurs vedettes québécoises ont foulé hier le tapis rouge et le parterre du Cinéma Impérial était plein. Serge Losique est même monté sur scène pour y aller d'un mot, évoquant la notion de drame, nécessaire à tout bon film de fiction. «Il en est de même des festivals», a-t-il déclaré.

Le cinéaste Claude Gagnon était par ailleurs le seul membre du jury présent à la fête. Les autres n'avaient pas encore posé leurs valises, mais on nous assure qu'ils sont arrivés. Deux d'entre eux manqueraient toutefois à l'appel, dont le cinéaste néo-zélandais Lee Tamahori (Once Were Warriors). C'est à ce même Claude Gagnon, seul lauréat canadien du Grand Prix des Amériques de l'histoire (The Kid Brother/Kenny, 1987), qu'est revenu l'honneur d'ouvrir officiellement le 40e Festival des films du monde.

Avec raison, Embrasse-moi comme tu m'aimes, le nouveau film d'André Forcier, fut très apprécié. Quand est monté le générique de fin, le film a été très chaleureusement acclamé. Mais cette soirée de première mondiale, habilement organisée de façon autonome par Filmoption international, le distributeur du film, ne pouvait quand même pas effacer d'un coup les malheurs qui se sont abattus sur le FFM depuis quelques jours. Au point d'en compromettre une importante partie.

Une désorganisation quasi totale

À quelques heures de la soirée d'ouverture, la désorganisation était encore quasi totale dans les bureaux presque déserts du FFM. D'autant qu'à la suite du retrait de Cineplex Divertissement - et des sept salles du Cineplex Forum - , il a fallu réorganiser in extremis un nouveau programme. Le cinéma de la rue De Bleury, qui appartient au festival, reste le seul endroit où des films du FFM sont présentés cette année. Le nouvel horaire, amputé de toutes les séances initialement prévues dans l'enceinte de l'avenue Atwater, a finalement été affiché dans les vitres de l'Impérial à la toute fin de l'après-midi.

Inutile de dire que tout ce chambardement a fait naître beaucoup plus de questions que de réponses. Qu'advient-il de tous les films des sections parallèles? Et des fameux Chelems d'or, ces prix en argent d'une valeur d'un million de dollars américains (gracieuseté de la société chinoise Gold-Finance Group) qui, à la clôture, doivent en principe être remis aux lauréats des différentes sections?

Des artisans étrangers un peu déroutés

Dans le couloir où quelques journalistes et professionnels faisaient le pied de grue pour obtenir leur accréditation (le processus était tellement long que certains se sont découragés et ont quitté les lieux sans leur badge), on ne cachait son incrédulité ni son inquiétude.

Rencontré par hasard, le cinéaste américain David Franklin, dont le premier long métrage, As Far as the Eye Can See, devait être présenté en primeur mondiale au Cineplex Forum ce soir, disait attendre des nouvelles. Le cinéaste a assumé lui-même ses frais de déplacement et de séjour à Montréal. L'arrivée de la vedette de son film, Jason London, était prévue hier soir.

«J'étais heureux de venir présenter mon long métrage à Montréal, car mon approche est beaucoup plus européenne qu'américaine, a-t-il confié. Je suis certain que le public du FFM pourrait apprécier.»

Au moment de cette rencontre, il espérait faire partie des heureux élus dont les films seront rapatriés à l'Impérial dans la nouvelle grille horaire. Cela fut confirmé hier soir. Il aura ainsi droit à une projection, demain à 19 h. On peut présumer que la grille a été reconfigurée en donnant la priorité aux productions dont les artisans venus d'ailleurs étaient déjà présents dans la métropole québécoise. Il est aussi à noter que tous les films présentés au FFM auront droit à une seule séance.

Forcier, un allié indéfectible

Rencontré quelques heures avant la présentation de son nouveau film, André Forcier réitérait son admiration pour Serge Losique et sa foi en un festival qu'il a toujours soutenu. En 1990, Une histoire inventée a obtenu le prix du film le plus populaire du festival. Quatre ans plus tard, Le vent du Wyoming lui a valu le prix du meilleur film canadien, ainsi que celui de la critique. Il y a cinq ans, Coteau rouge fut choisi meilleur film canadien par le public, et ce, en dépit d'une première projection catastrophique sur le plan technique.

«Je salue le courage de Serge Losique et je le respecte profondément, a déclaré le cinéaste. Ce qui se passe présentement est difficile à comprendre. Comme le dit Claude Gagnon, Serge Losique est un homme très intelligent et il va toujours nous surprendre.»

Habitué du FFM, André Forcier a aussi eu l'occasion d'aller présenter quatre ou cinq de ses films au festival de Toronto.

«Ça n'a rien à voir, fait-il remarquer. Je préfère de loin lancer mes films à Montréal. Je sais qu'Embrasse-moi comme tu m'aimes a été proposé au TIFF, mais à ce qu'on m'a rapporté, le programmateur a trouvé le film trop violent, trop sexué, avec trop d'humour noir. Il a dit que le public torontois "tofferait" pas la moitié de la projection, mais que c'était parfait pour le public québécois. Et je m'en contrecâlisse!»

Si la direction du FFM ne pouvait souhaiter mieux comme soirée d'ouverture, il reste que le vrai test commence aujourd'hui, alors qu'une équipe réduite s'empare de la logistique et des projections. Une autre question essentielle, aussi, demeure. Complètement laissé à lui-même sur le plan des horaires et de la vente des billets, le public traditionnel du FFM sera-t-il au rendez-vous?

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Embrasse-moi comme tu m'aimes: L'amour au temps de la guerre

Depuis toujours, André Forcier aime la douce provocation et Embrasse-moi comme tu m'aimes ne fait certes pas exception à la règle. Au centre d'un récit foisonnant, campé dans le Montréal des années 40, un «couple» particulier. Berthe (Juliette Gosselin) et Pierre (Émile Schneider) sont jumeaux. Elle est handicapée depuis toujours. Son frère veille sur elle et en prend soin. Le trouble s'installe quand, en vieillissant, leur attirance mutuelle commence à dépasser le cadre fraternel...

La force du cinéma de Forcier réside dans cette faculté de jongler avec tous les tabous - surtout ceux de l'époque - en dotant ses personnages d'une forte dose d'humanité et de tendresse. Autour des jeunes protagonistes, formidables, gravite une galerie de très nombreux personnages aussi inattendus que colorés, dont les petites et grandes perversités évoquent autant de facettes de la nature humaine. Embrasse-moi comme tu m'aimes prendra l'affiche en salle le 16 septembre. Nous y reviendrons.