Le premier film anglophone de Yorgos Lanthimos, The Lobster, est une allégorie aussi absurde que jouissive à propos des pressions sociales qui encadrent les rapports sentimentaux et humains.

Les deux longs métrages présentés hier dans le cadre de la compétition officielle sont dignes de figurer au palmarès. Saul Fia a d'abord administré aux festivaliers un véritable choc en racontant la Shoah d'une façon aussi puissante qu'inédite (voir autre texte).

De son côté, Yorgos Lanthimos, qui avait séduit et déstabilisé le public cinéphile avec Dog Tooth (finaliste pour l'Oscar du meilleur film en langue étrangère en 2011), a présenté une allégorie tout aussi puissante, bien que très différente de ton et d'esprit.

En couple. Ou en homard...

Dans The Lobster, Colin Farrell incarne David, un homme rangé, dont le récent divorce amène pourtant un changement de vie radical. Dans la société dans laquelle il évolue, située dans un avenir proche, le célibat est en effet une tare qu'il faut enrayer. Ainsi, ceux qui se retrouvent seuls sont arrêtés, et envoyés dans un hôtel particulier où ils disposent alors de 45 jours pour tomber amoureux d'un (e) semblable. Et former un couple.

Ceux qui n'y parviennent pas - des pestiférés sont tout simplement transformés en animaux et relâchés dans la forêt environnante. Dans le questionnaire d'entrée, la vénérable institution a au moins la délicatesse de demander au nouveau pensionnaire en quel animal il voudrait être transformé, le cas échéant. La plupart font comme le frère de David, devenu chien il y a deux ans, et choisissent d'être transformés en animal de compagnie. Si jamais son séjour ne donne pas les résultats escomptés, David, lui, a choisi de finir sa vie en... homard.

«Bien franchement, je ne sais pas d'où viennent ces idées, faisait remarquer le cinéaste au cours d'une conférence de presse tenue hier. Quand je viens de terminer un film, je m'assois avec mon fidèle collaborateur Efthymis Filippou, avec qui j'écris tous mes films, et on dégage dès lors les thèmes que nous pourrions peut-être aborder dans le prochain scénario. On a eu envie de parler de la notion du couple et des relations sentimentales.»

On se retrouve ainsi avec une forme d'Occupation double qui rencontrerait l'univers de Hunger Games. Car, bien sûr, des jeux sont organisés pour éliminer les plus faibles. Cela dit, la résistance des célibataires, qui revendiquent leur statut clandestin, s organise. À l'intérieur même de l'hôtel, où les conventions sociales empruntent une forme aussi kitsch que dictatoriale, certains cherchent un moyen de trouver une autre voie. Pendant la préparation de son film, le cinéaste ne cache pas avoir beaucoup regardé les téléréalités britanniques...

L'une des grandes qualités de The Lobster - outre son humour grinçant - est de justement proposer une véritable histoire d'amour, qui, dans le contexte, se révèle d'un romantisme complètement inattendu.

«C'est de loin le scénario le plus original que j'ai jamais lu! a déclaré Colin Farrell. Voilà une histoire qui possède sa propre logique interne et qui, en même temps, suscite une véritable émotion. Elle laisse aussi place à la propre interprétation du spectateur.»

Rien de particulier

À cet égard, Yorgos Lanthimos souhaite justement que son film suscite un vrai questionnement chez celui ou celle qui le voit.

«Je n'ai rien voulu dire de particulier, dit-il. Même pas sur la pression sociale qui pèse lourd dans certaines sociétés, où la vie n est pratiquement pas concevable hors du couple et de la famille. Mais je trouvais intéressant de m'attarder aussi aux perceptions et de laisser la discussion la plus ouverte possible. Je préfère de loin poser des questions plutôt que de fournir des réponses.»

À l'instar de plusieurs cinéastes européens, du moins ceux dont les films ont été sélectionnés à Cannes, Yorgos Lanthimos a tourné The Lobster en langue anglaise et a fait appel à une (imposante) distribution internationale. Outre Colin Farrell, cette comédie à l'humour absurde met en vedette Rachel Weisz, Léa Seydoux, John C. Reilly, Ben Wishaw et bien d'autres. Tout ce beau monde s'est retrouvé dans le comté de Kerry, situé dans le sud-ouest de l'Irlande. «J'habite en Angleterre depuis quatre ans, a fait valoir le cinéaste. Après quatre films tournés en Grèce, j'ai eu envie de quelque chose de différent. Comme le cadre n'est pas défini de façon précise dans cette histoire, je pouvais faire appel à des acteurs de toutes nationalités. Il est aussi plus facile de réunir des ressources de cette façon. J'avoue avoir du mal à comprendre pourquoi on parle beaucoup de ça cette année. À mes yeux, cela n'a pas de signification particulière.»