En 1989, une inconnue acadienne, étudiante dans une école de cinéma à Paris, a été invitée à devenir membre du jury du Festival de Cannes.

Vous avez bien lu. Renée Blanchar, une cinéaste qui a ensuite consacré sa démarche créatrice à décrire les différentes réalités de son coin de pays (notamment à travers la série télévisée Belle Baie), s'est retrouvée sur la Croisette, à discuter des films de la compétition officielle. Parmi ses collègues: Peter Handke, Sally Field, Georges Delerue et Krzysztof Kieślowski. Wim Wenders présidait le jury qui, cette année-là, a décerné la Palme d'or à Sex, Lies and Videotape, le premier long métrage de Steven Soderbergh. Qui, à 26 ans, devenait ainsi le plus jeune lauréat de l'histoire du festival. Il l'est toujours. Denys Arcand, qui faisait son entrée dans la compétition officielle cette année-là, avait obtenu le Prix du jury grâce à Jésus de Montréal.

«Francis Coppola devait présider le jury en 1989, mais il a dû se désister à la dernière minute, rappelle Renée Blanchar en ressassant des souvenirs à la demande de La Presse. Coppola avait exprimé le souhait qu'une voix jeune se fasse entendre au sein du jury et Wim Wenders, qui l'a remplacé, a honoré l'idée.»

Un concours a été organisé au sein des écoles de cinéma de France auprès des étudiants étrangers. La FEMIS, l'institution qu'elle fréquentait depuis quatre ans à Paris, a soumis sa candidature. Alors âgée de 24 ans, Renée Blanchar a été reçue en entrevue par Gilles Jacob, le grand manitou du festival à l'époque.

«Nous avons beaucoup parlé de cinéma, mais en sortant de son bureau, j'étais certaine d'être éliminée!, dit-elle. Je n'ai jamais su combien de candidats avaient été rencontrés. J'ai évidemment été très surprise quand on m'a appris que j'avais été choisie!»

Une appréhension

La benjamine du jury, qui a célébré son 25e anniversaire de naissance pendant la tenue du festival, appréhendait quelque peu son arrivée à Cannes. On peut la comprendre. Comment allait-elle pouvoir s'intégrer à ce groupe aussi sélect, composé des plus belles pointures du cinéma international?

«Dans la pratique, l'exercice est très exigeant, fait-elle remarquer. Il y a même quelque chose d'étourdissant. Dès la première réunion, Wim Wenders a cependant très bien établi les choses. Il nous a tous présentés les uns aux autres en insistant sur l'égalité des voix au sein du jury. Dans les délibérations, ou dans les discussions plus informelles, jamais je n'ai senti que ma voix comptait moins que celle des autres. Je suis rentrée de plain-pied là-dedans et j'ai senti qu'on me faisait vraiment une place. J'ai défendu les films que j'aimais. Et le palmarès ressemblait pas mal à ce que je souhaitais!»

Renée Blanchar n'hésite pas à évoquer un moment de grâce, comme il s'en présente peu au cours d'une vie. Comme une occasion de vivre une expérience unique, à un très jeune âge, alors que tout le parcours reste ensuite à faire. Elle garde en outre un souvenir précieux de sa rencontre avec le regretté cinéaste polonais Krzysztof Kieślowski (Trois couleurs: Bleu, Blanc, Rouge), mort en 1996 à l'âge de 54 ans.

«Son Décalogue m'avait complètement bouleversée, souligne la cinéaste. Ce fut pour moi la rencontre la plus significative à Cannes. Simplement le fait de le côtoyer, de parler cinéma avec lui, c'était extraordinaire. Comme un immense privilège. Nous avons même gardé contact pendant longtemps après le festival.»

De retour sur la Croisette

Quand on lui demande si, par hasard, elle aurait un conseil à donner à Xavier Dolan, membre du jury cannois cette année (sous la présidence de Ethan et Joel Coen), la cinéaste s'emballe.

«Quel conseil peut-on donner à Xavier?, lance-t-elle. Simplement de rester aussi incroyable qu'il est! On peut juste dire: wow! Je n'avais évidemment pas du tout le même profil que lui au moment où j'ai été membre du jury, mais je peux quand même très bien comprendre ce qu'il s'apprête à vivre. Je suis convaincue que sa voix amènera quelque chose de vraiment pertinent au sein de ce jury. Ce qui me fait surtout plaisir, c'est qu'on ait reconnu son talent aussi vite.»

Curieux coup du destin, Renée Blanchar s'apprête à retourner sur la Croisette cette année. Elle n'y est pas allée depuis 26 ans.

«J'ai soumis un scénario de long métrage, intitulé La femme, à un concours organisé par la Maison des scénaristes en France, explique-t-elle. Il a été retenu parmi les 24 projets qui participeront à un événement au Festival de Cannes. Donc, j'y retourne pour la première fois depuis l'année de mes 25 ans. Ça boucle la boucle!»

JURY DU 42e FESTIVAL DE CANNES, EN 1989

Président du jury: Wim Wenders, réalisateur 

Sally Field, actrice 

Christine Gouze-Renal, productrice

Claude Beylie, critique 

Georges Delerue, compositeur 

Héctor Babenco, réalisateur

Krzysztof Kieślowski, réalisateur 

Peter Handke, écrivain

Renée Blanchar, étudiante de la FEMIS en réalisation

Silvio Clementelli, producteur