Lorsque son film Do the Right Thing est sorti il y a 25 ans, le réalisateur Spike Lee n'aurait jamais cru qu'un Afro-Américain serait un jour élu président des États-Unis. Mais la condition des Noirs ne s'y est pas pour autant améliorée.

«Il y a eu des développements», a-t-il affirmé hier à Montréal. «Mais il y a plus d'Afro-Américains dans la pauvreté aujourd'hui qu'il y a 25 ans. Le fossé entre riches et pauvres s'élargit. Et la police continue de tuer des Noirs. Ce fut encore le cas l'été dernier à Staten Island où un jeune Noir, Eric Garner, est mort à la suite d'une immobilisation par étranglement (chokehold) commise par un policier du NYPD. Cette technique est pourtant bannie depuis 22 ans à New York.»

Le cinéaste, qui n'en est pas à une déclaration incendiaire près, a beaucoup plus parlé de la situation des Noirs dans la société américaine que de cinéma, dans le cadre d'une conférence de presse du Festival international du film black de Montréal (FIFBM), qui s'ouvrait hier.

L'événement lui rend hommage et les organisateurs lui ont remis le prix Précurseur en reconnaissance de son travail favorable à l'avancement des rôles et des talents black à Hollywood. En parallèle, son nouveau film Da Sweet Blood of Jesus était présenté, hier soir, en première internationale au Cinéma Impérial, en présence de P.K. Subban.

Si Spike Lee a davantage parlé politique et société que de cinéma, c'est parce qu'il avait visiblement peu à dire sur le 7e art, le sien comme celui des autres.

Lorsqu'un membre des médias lui a demandé de parler de son nouvel opus, Lee a vaguement répondu qu'il avait pour thème la dépendance et qu'il y avait beaucoup de sang et de sexe.

Il était plus volubile sur le fait que le budget du film est en partie imputable à la formule de financement participatif (crowdfunding). «J'enseigne depuis maintenant 15 ans à l'Université de New York et j'adore ça, dit-il. Je crois qu'un bon professeur est celui qui va aussi apprendre de ses étudiants. Les miens m'ont justement initié à cette formule de financement.»

Diversité manquante

Si le réalisateur de She's Gotta Have It, Jungle Fever et Malcolm X s'est longuement attardé sur la violence impliquant des membres de la communauté noire américaine, il a aussi déploré la bien petite place que les Noirs occupent dans les domaines du cinéma et de la télévision. C'est aussi vrai devant que derrière la caméra, dit-il.

«En matière de représentation de la diversité, le monde du sport a largement dépassé Hollywood», dit le réalisateur.

Or, dit-il, les industries qui ne se mettront pas à l'heure de la diversité risquent de rater un gros train en marche. Il donne en exemple une étude du Bureau de recensement des États-Unis selon laquelle les Blancs se retrouveraient en minorité dans ce pays dès 2035.

«Le meilleur avis que je pourrais donner à l'industrie, quel que soit son domaine, serait de faire tout en son pouvoir pour refléter la diversité existante dans le monde aujourd'hui. Si j'étais une entreprise, je ne dormirais pas sur cette réalité.»

Estimant que les deux éléments fondateurs de l'Amérique sont le génocide des Premières Nations et l'esclavage des Noirs d'Afrique, et non la liberté et la démocratie, Spike Lee a également déploré la situation des jeunes Noirs américains chez qui l'énorme taux de décrochage est en lien direct avec la population carcérale et la violence.

Alors, qu'aime-t-il des États-Unis? lui a demandé un journaliste. «J'adore l'Amérique, a répondu le cinéaste. Je l'aime assez pour pouvoir la critiquer. Ça reste le meilleur pays au monde où il est possible de réaliser son rêve. C'est pourquoi il y a tant de gens qui cherchent à aller y vivre.»

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Le FIFBM se poursuit jusqu'au 28 septembre.

La soirée de la relève

Dans le cadre de son 10e anniversaire, le Festival international du film black de Montréal (FIFBM) fait place ce soir à la relève. Cinq jeunes réalisateurs des communautés noires de Montréal ont en effet été invités à faire un court métrage sur le thème «Être noir à Montréal». Ils ont pour cela reçu de courtes formations à l'Institut national de l'image et du son (INIS). La présentation des oeuvres aura lieu ce soir à 21h dans l'ancien cinéma ONF de la rue Saint-Denis.