Elles vivent au Texas. Elles sont jeunes, jolies et respirent la santé. Elles sont proches du «vrai monde» et elles chantent la «vraie vie» sur des accords de country. On les a vu interpréter l'hymne national au Superbowl. À trois, elles incarnent une seule et même «fille américaine idéale». En plus, elles ont vraiment du talent. Les Dixie Chicks avaient vraiment le vent dans les voiles, jusqu'au jour où...

Par la voix de leur leader naturelle, Natalie Maines, les Chicks ont osé se mêler de politique internationale. Une seule phrase, assassine, prononcée à Londres entre deux chansons lors d'un show, devant une foule enthousiaste: «We're ashamed the president of the United-States is from Texas» («On a honte que le président vienne du Texas»). Le soir de cette missive spontanée, le monde entier avait déjà appris que Bush envoyait ses troupes sévir en Irak. Venue d'un artiste reconnu pour son bagou et son esprit de provocation, cette «attaque», qui relève davantage de la boutade que de l'injure, aurait passé totalement inaperçue. Mais, de la bouche de cette jeune femme typiquement sudiste, la vanne, lancée dans un spasme d'émotion, a suscité un véritable psychodrame aux États-Unis. C'était en 2003...

Aujourd'hui, alors que les politiques d'intervention militaire au Moyen-Orient font plus que jamais jaser, et après les pamphlets ouvertement anti-Bush de Michael Moore (Fahrenheit 9/11) et de Gabriel Range (Death of a President), les paroles vaguement antipatriotiques de Natalie Maines font plutôt sourire. Les Dixie ont pourtant été les victimes d'une longue battue, organisée par des gens de la droite qui, crachant leur fiel sur toutes les tribunes, ont voulu faire passer les trois artistes pour de véritables ennemies de l'Amérique (on leur a même lancé: «Allez donc vivre en France!»).

C'est allé du boycott des stations de radio à la menace de mort, passant par la manif et le lynchage par Internet, cela même si elles ont fait publiquement leurs plates excuses. Les filles sortent de cette mésaventure un peu ébranlées mais plus fortes que jamais: elles ne se laisseront pas museler.

Dans le documentaire au titre évocateur Shut up and Sing, Barbara Kopple et Cecilia Peck suivent les Dixie depuis «l'incident» à Londres jusqu'à la «résurrection» du groupe, suivant étape par étape leur étrange calvaire, alors qu'une partie de l'Amérique les reléguait au purgatoire. Le film nous fait très bien comprendre que ces filles, en vérité assez peu intéressées par la chose politique et elles-mêmes étonnées de la tournure des évènements, vivent d'abord et avant tout pour la musique, pour l'amitié sincère qui les unit et pour leurs enfants.

Kopple et Peck (qui, en bonnes documentaristes se font invisibles) ne présentent pas les Chicks comme des insoumises en lutte pour «la cause», encore moins comme des martyres, mais comme des femmes, des artistes, des citoyennes d'une infinie dignité qui ne se laissent pas marcher sur les pieds, ni par leur sympathique manager, ni par tous ces petits émissaires de la droite patriote qui leur ont cherché misère. Sans appuyer, Kopple et Peck livrent leur message: vive la liberté d'expression (et George W. est un «moron»).

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Shut Up & Sing. Documentaire de Barbara Kopple et Cecilia Peck. Avec les Dixie Chicks.

Trois ans avec le groupe Dixie Chicks, qui se remet encore péniblement de l'opprobre après avoir publiquement ridiculisé le président Bush.

Ode country à la libre expression.