Dans son nouveau documentaire, Sur son cheval de feu, le scénariste et réalisateur Raymond St-Jean offre une plongée intime au coeur de la démarche artistique de la danseuse et chorégraphe québécoise Louise Lecavalier, où la danse prend la part du lion.

Raymond St-Jean a développé, depuis 25 ans, une affinité avec la danse et le mouvement à travers l'art cinématographique, notamment grâce à son travail avec le producteur Michel Ouellette, pour qui il a réalisé plusieurs films de la série Musique de chambre, qui illustrait la vie de compositeurs à l'aide de chorégraphies originales.

C'est d'ailleurs de Michel Ouellette qu'est venu ce projet de documentaire sur Louise Lecavalier. Celui qui est un vieil ami de la danseuse avait produit à l'époque de La La La Human Steps deux films (Le petit musée de Vélasquez et La La La Human Sex duo no. 1), dont on voit d'ailleurs des extraits dans le documentaire. « Michel a toujours voulu faire un film avec elle. Maintenant qu'elle assume aujourd'hui le rôle de chorégraphe, il a senti que le projet était mûr », raconte M. St-Jean.

UN PARTI PRIS POUR LA DANSE

Après Une chaise pour un ange, un documentaire sur la culture des Shakers incorporant des extraits de Borrowed Light du chorégraphe finlandais Tero Saarinen (prix de la meilleure oeuvre canadienne au Festival International du film sur l'art en 2014), le cinéaste est de retour avec une proposition qui marie les genres et s'éloigne du format traditionnel du documentaire.

Outre les entrevues à la caméra avec l'artiste et « sa garde rapprochée » et les moments où l'équipe la suit - en tournée à Paris, en répétition, dans sa vie quotidienne -, plusieurs longs extraits dansés ponctuent Sur son cheval de feu, dont les deux plus récentes créations de Lecavalier, So Blue et Mille batailles.

Des extraits mis en scène de façon cinématographique, dans des décors conçus en studio, et où le mouvement est au premier plan. « C'est vraiment un parti pris pour la danse, oui. J'aime filmer la danse ; il y a un défi à bien le faire, à réfléchir à une manière qui fonctionne, mais je pense que ça peut intéresser les spectateurs », croit St-Jean.

« Cela me désole toujours de voir des films sur des chorégraphes, où, curieusement, on évite la danse, comme si on avait peur que le spectateur s'ennuie. Selon moi, la danse se suffit à elle-même. »

- Raymond St-Jean

Le plus grand défi du réalisateur, qui a suivi la très humble Louise Lecavalier pendant un an, a sans doute été de la faire sortir de sa coquille.

La modestie, immense, de l'artiste nous marque à l'écoute du film. Elle répète d'ailleurs souvent : « Tout ce que je sais, c'est que je ne sais rien. » Elle parle aussi de son « petit corps ordinaire », elle qui, à près de 60 ans, danse toujours avec autant de fougue et d'intensité, comme en témoignent des interprètes ayant partagé la scène avec elle, interviewés par le cinéaste.

« Louise a beaucoup d'humilité, même trop d'humilité, d'une certaine manière. Car le tournage d'un documentaire suppose que la personne va nous ouvrir son monde, mais qu'elle va aussi nous parler ! Ce n'est pas que les entrevues étaient difficiles, et sur l'espace d'un an, on s'est apprivoisés, mais elle avait toujours cette pudeur constante à parler d'elle-même, à décrire son travail. Mais, en même temps, c'est ce qui fait la beauté du personnage », croit M. St-Jean.

Dès le départ, le but n'était pas, de toute façon, de produire un film biographique, ajoute le réalisateur, mais de dessiner le portrait d'une artiste qui a marqué son époque et qui continue d'être actuelle. « Oui, j'ai voulu aller chercher quelques informations biographiques, mais, à la fin, au montage, la question c'était : qu'est-ce qui la nourrit comme artiste ? »

Le documentaire - dont le titre de travail était d'ailleurs Mouvements - s'attarde beaucoup à son travail en studio, à sa recherche constante du mouvement, à sa vitalité physique et mentale qui ne semble pas connaître d'essoufflement. « En studio, elle ne travaille pas à partir d'un concept, mais d'expérimentations physiques, c'est un processus très personnel que j'essaie de faire comprendre dans le film. »

« Louise est un peu comme un scientifique ; elle fait de la recherche sur le mouvement et le cobaye, c'est elle. Elle cherche toujours à expliquer l'univers, à sa façon, et c'est une quête sans fin. Tant que son corps va suivre, elle va la mener. »

- Raymond St-Jean

L'ÉPOQUE LA LA LA

Évidemment, impossible d'évoquer le parcours de Louise Lecavalier sans s'attarder sur l'époque de La La La Human Steps et le « triangle créatif » formé de la danseuse, du chorégraphe Édouard Lock et du danseur Marc Béland.

« Ils ont amené un nouveau public à la danse contemporaine, avec les collaborations de Bowie, de Zappa... À cette époque, c'était l'éclosion d'une scène un peu punk, underground à Montréal, il y avait cette mouvance culturelle qui brisait la tradition. Ils sont sortis du monde de la danse contemporaine, ils étaient vraiment des rock stars en quelque sorte ! », résume le réalisateur.

Édouard Lock est le grand absent de ce documentaire. Une question de conflits d'horaire, assure M. St-Jean. « Aussi étrange que ça puisse paraître, on n'a pas réussi à coordonner nos horaires. Il travaille en Europe, tournait en Asie... J'ai donc commencé à monter autour de lui, sans lui, mais il est quand même très présent. »

C'est Marc Béland - dont les duos avec Lecavalier ont marqué l'imagination - qui livre d'ailleurs un vibrant témoignage, très intime, de cette époque. « C'est vraiment beau, ce que fait Marc dans le film. Il raconte cette période-là vraiment de l'intérieur. »

Louise Lecavalier - Sur son cheval de feu prend l'affiche aujourd'hui à la Cinémathèque québécoise à Montréal, au Cinéma Cartier à Québec et à la Maison du cinéma à Sherbrooke.

PHOTO Martin Chamberland, LA PRESSE

Le réalisateur Raymond St-Jean signe un documentaire sur la chorégraphe et danseuse Louise Lecavalier.