Un quatrième film à titre de réalisateur, Les rois mongols, qui sort vendredi prochain. Un premier rôle dans la série de l'heure, District 31, où il retrouve son vieux complice d'Omertà Luc Dionne. Pas besoin de chercher Luc Picard cet automne: il sera partout.

Luc Picard travaillait sans arrêt depuis sa sortie du Conservatoire d'art dramatique, en 1988. Mais c'est en 1996, lors du coup de tonnerre qu'a été la télésérie policière Omertà, qu'il a vraiment connu la notoriété. Celle qui change tout. «On m'en parle encore souvent. C'était vraiment un phénomène! C'est là que j'ai commencé à vivre dans la tête des gens.»

«Trop d'années» plus tard, il y est toujours bien installé. «Je suis forcé d'admettre que je suis un nom. C'est réconfortant de traverser les années et de sentir que, comme artiste, tu gardes une relation avec la société dans laquelle tu vis. De savoir que tu es encore pertinent...» Luc Picard s'arrête et sourit. «Je parle comme un vieux, là! Être le plus pertinent possible...»

Le comédien de 55 ans rigole. Nous sommes dans un restaurant du Vieux-Montréal, il est en pleine promotion pour Les rois mongols, son quatrième film en 12 ans à titre de réalisateur. Fébrile, de bonne humeur, intense - il s'enflamme à certains moments, alors que d'autres fois, son regard s'embue -, Luc Picard joue avec gentillesse et sérieux le jeu de la grande entrevue. Il prend le temps de réfléchir à ses réponses, cherche parfois le mot juste, mais ne termine pas toujours ses phrases, dans un évident souci de vérité.

Mouvement

«L'audition, mon premier film [sorti en 2005], était très personnel. Jamais je n'aurais pensé que j'en ferais d'autres. Je ne veux pas avoir l'air ingrat en disant ça... Je prenais ça au sérieux, mais moi, je ne me prenais pas trop au sérieux.»

«Aujourd'hui, je commence à accepter l'idée que je suis un réalisateur, pas juste un acteur.»

Cette corde de plus à son arc fait que sa carrière oscille depuis une douzaine d'années entre la réalisation et le jeu. Lui qui avait fait L'audition parce qu'il n'avait presque pas travaillé après la naissance de son fils... a très peu travaillé après la sortie du film. «C'est juste normal! Tu viens de faire ton film, tu l'as écrit, réalisé, t'as joué dedans, les gens se disent: il va faire ses affaires tout seul. Puis, j'ai réalisé Babine, pour la langue de Pellerin, mais aussi parce qu'il y avait un beau rôle dedans, celui de Toussaint Brodeur. J'ai peut-être pas beaucoup de talents, mais j'ai celui de reconnaître un rôle un peu bonbon quand il passe! Mais entre toi et moi et les lecteurs de La Presse, les propositions de rôles ont diminué chaque fois que je réalisais un film.»

Ce n'est donc probablement pas un hasard si, depuis quelques années, on l'a davantage vu au petit écran qu'au cinéma - qui reste, précise-t-il, son médium de prédilection. «C'est sûr que j'aimerais ça, avoir de la viande à défendre au cinéma.» Faudra-t-il qu'il s'écrive des rôles pour en faire davantage? «J'espère que non! Mais il faut être lucide, des rôles principaux pour des gars de 55 ans, il n'y en a pas tant que ça.»

Assumer

Luc Picard a tenu la vedette ces dernières années dans des séries qui ont connu, disons, un succès critique mitigé. On pense aux Jeunes loups, à TVA, et à Sur-Vie, à Séries plus. «J'assume», dit-il quand on lui pose la question. Puis, un (très) long silence. «C'est dur de parler de ça et de rester délicat. À chaque projet, je fais vraiment de mon mieux, mais tu ne peux pas toujours prévoir ce que ça va devenir. Et puis, j'ai un enfant. Je gagne bien ma vie, mais il y a des années plus difficiles que d'autres, forcément. En plus, l'oisiveté ne me sied pas beaucoup. Il faut que je fasse quelque chose. Tout ça rentre donc en ligne de compte. Et puis, sur chaque expérience, même si ce n'est pas une réussite, tu peux essayer des trucs.»

Avec son prix du meilleur second rôle l'an dernier pour son personnage de mafieux à la mèche courte dans Les mauvaises herbes, puis ce premier rôle dans District 31, les choses semblent se replacer pour celui pour qui le jeu reste la principale passion. 

«J'ai accepté de faire District il y a un an, avant de savoir l'engouement qu'il y aurait autour. Je voulais être certain d'avoir un rôle au moment où Les rois mongols sortirait, pour que le monde ne m'oublie pas.»

Ce qui ne risque pas d'arriver, puisqu'il s'apprête à entrer dans les maisons des gens quatre soirs par semaine. Le comédien est prêt à affronter cette nouvelle visibilité avec plus de sérénité qu'à l'époque d'Omertà. «Je suis plus prêt à dealer avec ma gêne naturelle. Quand la célébrité a commencé, j'étais tout croche tout le temps. J'étais juste ben mal à l'aise. Je manquais de simplicité, honnêtement. Là, j'ai plus confiance.»

Le film

Les rois mongols, qui a été présenté en ouverture du Festival de cinéma de la ville de Québec mercredi et qui sera à l'affiche partout dans la province vendredi prochain, occupe une place à part dans le coeur de Luc Picard. 

Le récit, adapté du roman de Nicole Bélanger, se déroule pendant la crise d'Octobre et raconte l'histoire de Manon, de son petit frère Mimi et de leurs cousins Denis et Martin. Parce qu'elle a peur d'être séparée de Mimi, la jeune fille entraînera le quatuor dans une aventure rocambolesque, mais qui prendra une tournure tragique. Le résultat est un film où la petite histoire se mêle habilement à la grande, délicat et émouvant, et aux nombreux accents ducharmiens.

«Bien sûr que j'ai pensé aux Bons débarras, dit le réalisateur. Mais en même temps, c'était presque trop proche, alors je n'ai pas voulu le revoir. Les deux films qui m'ont davantage guidé sont Les ordres et Stand By Me

Pour créer une chimie dans le groupe de jeunes, Luc Picard les a réunis en dehors du plateau, a organisé des soupers, des visionnements de films. «À un moment, pendant le tournage, j'ai vu la magie. Je pense qu'ils vont se souvenir de cette expérience toute leur vie.» Il a su tirer le meilleur de chacun d'eux, car ils sont tous formidables de justesse. 

Les quatre jeunes confirment: Luc Picard a agi en «père» avec eux, pas juste avec son fils Henri, qui faisait partie du groupe. Un rapport affectueux qui est à l'image de celui qu'il entretient avec l'équipe technique.

Émotion

Luc Picard, on le comprend, est un homme de principe et de coeur. Ce n'est pas pour rien que ses films distillent autant d'émotion. «Quand je ressors d'un film avec le coeur plus grand que lorsque je suis rentré, je suis content. Ça n'arrive pas si souvent, alors j'en suis toujours reconnaissant, parce que ça me fait sentir vivant.» 

«Je me rends compte que mon cinéma est un cinéma d'émotion. Si quelqu'un résiste à ça, mes films ne sont pas pour lui.»

L'audition était d'ailleurs particulièrement difficile pour les glandes lacrymales. «Mais ce n'était pas pour vous manipuler, se défend Luc Picard. Je déteste la sensiblerie. Ce film, c'était un cri du coeur, une traduction de ce que je vivais avec mon fils. Moi-même, j'ai pleuré en l'écrivant.»

Il l'admet, il a su davantage doser les émotions dans Les rois mongols. «L'histoire est assez forte, je n'avais pas besoin de peser sur le volume.» Particulièrement la fin, qu'on ne révélera pas ici, mais qui est vraiment bouleversante. «Cette fin me vire à l'envers, dit-il, la voix un peu étranglée. C'est comme un refus de devenir adulte. C'est Manon qui dit fuck off au monde des grands et à ses mensonges.»

Engagement

Si Les rois mongols met en scène des enfants, ce n'est pas pour autant un «conte pour tous». C'est surtout une métaphore du Québec et de l'état du monde actuel par rapport aux années 60 et 70, où tout était possible. «Les époques, ça existe. On est dans une époque où Trump peut être le président des États-Unis. Ça ne se serait pas pu dans les années 70, même pas proche de se pouvoir!»

Luc Picard le militant, l'homme engagé, n'est jamais loin. 

Il reste bien sûr souverainiste - «mais sans faire d'amalgame, tout nationalisme de droite me répugne» -, même si le sujet est moins d'actualité. «Je suis encore amoureux de chez moi, de notre culture. Il y a des cultures qui meurent, et je ne vois pas pourquoi la nôtre ne s'étiolerait pas à long terme. Mais on est encore en position de la consolider mieux, alors pourquoi ne pas le faire en toute amitié avec le reste du monde? Je pense que ça changerait nos vies à des places qu'on ne soupçonne même pas. Des fois, je me dis: si on l'avait fait en 1995, on serait où, maintenant?»

Même si l'époque est à l'individuel et au morcelé, Luc Picard continue de croire au collectif et s'ennuie des grands rassemblements. Ce n'est pas pour rien qu'il a placé la chanson Un musicien parmi tant d'autres dans son film. «Serge Fiori était content parce que même si c'est devenu une chanson de party, dans le fond, c'est une chanson triste. Le musicien est là, mais tout le monde est parti.»

Luc Picard, en tout cas, a bien l'intention de rester en relation avec sa société en tant qu'artiste. «Je cherche tout le temps ma communauté, ma société, ma famille élargie. Quand je fais quelque chose, je veux savoir comment ma société se pose par rapport à moi, et moi par rapport à elle. Ce dialogue, c'est important de l'avoir. Je fais partie de la famille, je veux en faire partie. Dans le sens d'appartenir.»

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Les rois mongols prendra l'affiche le 22 septembre.

Photo fournie par Téléfiction Distribution

Milya Corbeil-Gauvreau et Anthony Bouchard dans Les rois mongols (2017).

Luc Picard en cinq univers

Luc Dionne«Omertà, Blue Moon, et maintenant District 31: c'est une collaboration qui dure depuis 1995 avec Luc Dionne. Il a le sens du punch au niveau de l'intrigue, et il écrit vraiment bien, des trucs cinglants, drôles... Il a une énergie vitale qui est indéniable. La raison principale pour laquelle je suis allé sur District 31, c'est son écriture.»

Fred Pellerin

«J'ai réalisé deux films à partir de l'univers de Fred Pellerin. C'est une grande joie de le connaître. Au-delà de son écriture, ce qui est le plus magique chez lui, c'est sa présence, qui jette à terre. Sa capacité de ne pas avoir peur, d'avoir confiance... Je n'ai jamais vu ça, c'est phénoménal. Il a une liberté, il est un pays à lui tout seul. Il est comme souverain. On est chanceux de l'avoir, on est un peu plus souverain chaque fois qu'on l'écoute.»

Pierre Falardeau

«Pierre, c'est immense... C'était mon ami. Ostie qu'il me faisait rire. J'ai aimé travailler avec lui... C'était mon frère, même si on n'avait pas la même approche sur bien des affaires. C'est quelqu'un qui était resté un enfant, il est resté entier toute sa vie, avec tout ce que ça a de drôle, de cinglant, de charmant, de chiant. Mais j'aime mieux quelqu'un qui est sincère et qui se trompe des fois qu'un ostie de menteur qui a toujours raison. Et mettons qu'on vit dans une époque de menteurs. Il me manque beaucoup.»

Michel Chartrand

«C'est dans la même catégorie que Pierre. Ils ont déjà été tous les deux dans un party chez moi. C'était drôle, c'est la première fois que j'ai vu Pierre un peu gêné. Michel, c'est un honneur de l'avoir incarné, mais surtout de l'avoir connu. C'était un chêne, un homme fort, franc. Le contraire de la peur.»

Bernard Émond

«J'ai fait deux gros films avec lui. Bernard Émond, c'est comme un chercheur, qui va toujours rester fidèle à ce qu'il cherche. Lui non plus, il n'oublie jamais l'âme du collectif. C'est un être très intelligent. Je n'ai pas le même rapport avec lui qu'avec les autres, parce que je ne l'ai pas fréquenté, mais comme artiste, je l'admire énormément.»

Image fournie par Téléfiction Distribution.

Quatre jeunes portent le film Les rois mongols sur leurs épaules. Il s'agit de Milya Corbeil-Gauvreau, Anthony Bouchard, Henri Picard et Alexis Guay.