Il y a eu le Robert Downey Jr. des cures de désintoxication, celui des frasques personnelles et professionnelles. Celui que les producteurs craignaient d'engager malgré des performances remarquables dans Chaplin, Natural Born Killers ou même Less Than Zero. Celui pour lequel Jon Favreau a dû se battre afin qu'il soit considéré pour le rôle de Tony Stark/Iron Man... et qui a eu tellement de succès dans cette armure qu'il enfile en alternance avec le costume de Sherlock Holmes que l'on a oublié les temps d'avant.

Avec The Judge, qui a ouvert en septembre le Festival du film de Toronto et dont il est l'un des producteurs (entre autres avec sa femme, Susan), Robert Downey Jr. donne rendez-vous aux fans de l'acteur, celui d'avant le cabotin. Et c'est cet homme-là que La Presse a eu l'occasion de rencontrer durant le TIFF en compagnie d'une poignée de journalistes.

Un homme qui, contrairement à celui qui divertit les médias dans les conférences de presse très courues organisées pour la sortie des superproductions où il tient la tête d'affiche, était là pour dire des choses, senties, au sujet d'un projet qui le touche d'assez près - entre autres parce que sa relation avec son père, le cinéaste Robert Downey Sr., a connu cahots et chaos.

Or The Judge joue dans ces eaux troubles-là.

L'histoire, imaginée par David Dobkin (Wedding Crashers) qui l'a aussi réalisée, est celle de Hank Palmer, un avocat prospère qui retourne dans la petite ville où il a grandi parce que son père (Robert Duvall), qui est juge en ces lieux, est soupçonné de meurtre. Le fils prendra la défense du patriarche en cour. Le retour aux sources ne se fera pas sans heurts, les deux hommes ne se parlant plus depuis des lustres.

«Quand vous commencez à développer un projet, ce n'est qu'une promesse à l'horizon. «J'espère que cette chose va fonctionner.» Puis, vous entrez en production et vous êtes dans la phase: «Il vaut mieux que ce truc-là se concrétise.» Ensuite, tous les chefs de département se mettent à l'oeuvre. Soudain, vous êtes en plein casting et, enfin, sur le plateau. Il est alors trop tard pour accrocher vos névroses à quoi que ce soit. Vous êtes dans l'action», lance-t-il d'un souffle. Avant de poursuivre, devant les journalistes... soufflés par son sérieux: «Et j'adore ça. J'adore que le processus soit imprévisible. Ç'a été une grande surprise, mais je m'y suis senti chez moi. De toute manière, là se trouve la part la plus importante de mes ambitions.» Là, dans le plus intime, plus que dans les mégaproductions où il est plongé depuis 2007 (mais qu'il revisite avec plaisir).

Pleurer et rire

D'autant que, comme le souligne David Dobkin, tous, devant et derrière la caméra, ont pu apporter de l'eau au moulin de The Judge: il y a là des thèmes universels auxquels tout le monde peut s'identifier. Robert Downey abonde. «À mon sens, ce n'est pas qu'une histoire père-fils. En fait, le juge aurait pu être la mère de Hank. Et les funérailles de la mère de Hank, ce sont toutes les funérailles auxquelles nous avons assisté. Et la coupure entre Hank et son père, ce sont toutes ces coupures que nous vivons un jour ou l'autre. Bref, je me suis retrouvé à pleurer tout le temps pendant ce tournage, pas «sur moi», mais parce que j'ai été plongé, vraiment plongé, dans la réalité plus vaste qu'exprime ce film.»

Certains moments de The Judge sont en effet troublants jusqu'à en être douloureux pour le spectateur, qu'ils interpellent fort. Personne, par exemple, n'est préparé à devenir, un jour, le parent de ses parents. Savoir, rationaliser, oui. Prêt? Pas si sûr.

Alors, action. La scène se déroule dans la salle de bains des Palmer. Hank essaie de laver son père, nu et confus, sous la douche.

«Tout d'abord, je dois lever mon chapeau à Bobby (Robert Duvall) parce que c'était une de ces choses... Vous savez, chaque fois que vous prenez un rôle, vous arrivez à ce point où vous demandez: «Heu... je dois vraiment faire ça?» Vous posez la question parce que c'est risqué, parce que vous avez déjà vu des gens prendre ce genre de risque et rater leur coup, raconte Robert Downey. Mais cette scène, dans The Judge, est une métaphore d'une expérience que David (Dobkin) a vécue. Il n'était pas question de la couper. Et c'est tant mieux parce qu'elle s'avère nécessaire. Elle est comme la vie, où l'humour peut jaillir en pleine débâcle, où le lien se reconstruit au milieu de la crise. Bref, nous ne voulions pas y penser à deux fois et quand nous l'avons tournée, ç'a été très vite.»

Ça s'est terminé dans le rire. Pour les personnages comme pour les acteurs. Soulagement. La scène était délicate. Et satisfaction. La page était tournée. Bien tournée.

(Presque) rien sur Robert (Duvall)

Robert Duvall a la réputation d'être difficile à interviewer. Il n'aime pas le volet promotion, désormais inévitable, du métier que, à 83 ans, il exerce depuis une cinquantaine d'années. Difficile de lui en vouloir, les interviews qui se succèdent toutes les 15 minutes, les questions qui inévitablement se répètent, il en a eu son lot. Alors, il les détourne, s'en amuse. Pour, au bout du compte, en dire un peu plus qu'il ne semble à la première écoute, a constaté La Presse lors d'une rencontre organisée en marge du TIFF en vue de la sortie de The Judge.

À propos du cinéma d'aujourd'hui, qui carbure aux superhéros et aux franchises:

«Ah, mais je trouve que le cinéma est aujourd'hui meilleur que jamais! Les acteurs sont meilleurs, les réalisateurs sont meilleurs. Il y a de la place pour tout le monde si on prend le temps de voir ce qui se fait dans le cinéma indépendant et ailleurs sur la planète.»

À propos de son personnage entêté et dur, parfois méchant jusqu'à être venimeux, qu'il incarne dans The Judge:

«Peur de ce rôle? Pourquoi j'aurais eu peur? Une fois que je me suis engagé dans quelque chose, je le fais. Je n'ai pas peur. Bien sûr, je me pose parfois des questions. Est-ce que ça vaut la peine de montrer tous ces aspects négatifs de quelqu'un? Mais une fois que j'ai accepté un rôle, je plonge dans le personnage et je tente d'être le plus vrai possible.»

À propos de la retraite:

«Vous savez, quand vous fréquentez de jeunes gens, sur les plateaux ou dans la vie, ils apprennent de vous et vous apprenez d'eux. C'est une voie à double sens. Bref, il me reste encore quelques projets à boucler avant qu'on ne doive m'essuyer la bave au coin des lèvres.»

À propos de sa femme, Luciana Pedraza, qui a 41 ans de moins que lui et qu'il vient de diriger dans Wild Horses, son quatrième long métrage à titre de réalisateur:

«Quand j'ai rencontré son père, je lui ai dit: «Je ne sais pas si je dois vous appeler papa ou mon fils!» »

___________________________________________________________________________

The Judge (Le juge) prend l'affiche le 10 octobre.

Photo: fournie par Warner Bros.

Robert Duvall dans The Judge.