Patrick Huard porte le film Ego Trip sur ses épaules, puisque le «trip» en question est le voyage intérieur d'un animateur de talk-show narcissique qui sort, bien malgré lui, de sa zone de confort. À tous les niveaux. Et qui de mieux qu'un acteur de sa trempe peut parler de l'ego des vedettes?

Patrick Huard l'admet lui-même d'emblée: ce qui l'intéresse, ce sont les comédies qui sont «à cheval sur autre chose». Et c'est effectivement dans ce créneau qu'il est devenu une tête d'affiche du box-office québécois. La comédie romantique avec Nez Rouge. La comédie policière avec Bon Cop, Bad Cop (le plus grand succès du cinéma canadien). La comédie qui s'interroge sur l'identité masculine, comme Starbuck ou, derrière la caméra comme réalisateur, Les trois p'tits cochons. Il semble maintenant évoluer dans la comédie sociale ou politique, avec ce Ego Trip qui se déroule en Haïti et, cet automne, avec Guibord s'en va-t-en guerre, le prochain film de Philippe Falardeau.

Mais Ego Trip vient jouer dans ses propres tripes, puisqu'il y incarne Marc Morin, une vedette sur le déclin. Pour ce personnage, Patrick Huard ne s'est pas inspiré de quelqu'un d'autre de connu que lui-même, dit-il. «Je me suis inspiré de ce que j'ai peur de devenir. La peur de prendre le mauvais côté de vieillir, comme artiste. De devenir amer, de me battre pour quelque chose que je ne suis plus. Mon personnage a déjà été hot, il pensait que c'était éternel, et il se rend compte que non.»

En fait, tout semble échapper à ce personnage: sa carrière, ses fans, sa famille. Loin de faire un examen de conscience, Marc Morin s'enfonce dans le déni et une attitude épouvantable. Jusqu'à ce que son agent (Antoine Bertrand), encore plus carriériste que lui, l'incite à aller faire son gentil en Haïti pour rehausser sa cote de sympathie. Une semaine de travail humanitaire pour redevenir populaire? Ça semble peu cher payé, et malgré ça, Marc Morin chiale et rechigne. «J'aime beaucoup quand on me propose un personnage qui n'est pas sympathique à la base, et qu'on doit essayer d'humaniser, avoue Patrick Huard. Ça m'attire parce que je pense que les gens sont comme ça dans la vie. Aussi, ça faisait longtemps que je voulais jouer du François Avard».

Ego Trip est un «trip» d'acteur, forcément, car toute l'histoire repose sur les réactions du personnage principal face à une réalité qu'il ne connaît pas et n'avait même pas envie de connaître. «Ce gars-là est embarré à l'intérieur de lui-même, estime Huard. Avec son père, ça n'a aucun sens, il refoule ses émotions. Il a des problèmes avec sa famille. C'est un gars amer, acide, déçu, il ne s'aime pas lui-même. Il voudrait sortir de lui, devenir une bonne personne, et ça lui prend un événement pour se justifier à ses yeux et aux yeux des autres.» Haïti aura raison de ses résistances, au-delà même de son manque d'empathie. Comme personnalité publique, Patrick Huard a sa petite idée sur l'aide humanitaire, à laquelle beaucoup de vedettes sont invitées. «Je pense que tout le monde devrait aider les gens, mais ça n'a pas besoin d'être toujours un show. Je me suis toujours dit que si je ne peux pas apporter à une cause plus qu'elle ne peut le faire elle-même, je vais le faire anonymement. Sinon, c'est comme si je le faisais pour moi. On fait toujours les choses pour soi, en un sens, mais si ta notoriété peut aider une cause, c'est parfait. Et fais-le simplement.»

Patrick Huard n'a pas vraiment vécu l'expérience en Haïti, puisqu'il a tourné en République dominicaine, mais il l'a fait avec des Haïtiens. Il a été séduit par la chaleur humaine. «J'ai trouvé ça merveilleux. Et j'adore le créole! C'est une langue extraordinaire, super musicale, faite sur mesure pour l'humour.». La façon de vivre des gens lui a rappelé le Québec de son enfance. «J'allais me chercher un popsicle au dépanneur en pyjama et en revenant, tout le monde se parlait, se souvient-il. De voir à quel point le monde ne se parle plus, j'ai presque honte. J'en suis la preuve vivante. Sandrine Bisson, qui joue ma femme dans le film, habite depuis quatre ans à deux maisons de chez moi et je ne le savais pas...»

Patrick Huard affirme qu'il écrit plus que jamais. Entre autres pour la suite de Bon Cop, Bad Cop et une série sur le hockey qui se déroulera dans les coulisses, celles des contrats et de l'argent, un mélange entre Entourage, Jerry McGuire et Moneyball, dit-il. Lorsque nous l'avions interviewé au début de sa carrière d'acteur, il y a quelques années, ses ambitions étaient grandes et, depuis, il a évolué comme comédien, avec un passage comme réalisateur qui a, pour lui, été essentiel. Mais il estime devoir tout à ses origines d'humoriste.

«Pour moi, tout est pogné ensemble, ce ne sont pas des boîtes, dit-il. C'est l'humour qui m'a donné la rigueur de l'écriture. La réalisation a brisé la barrière entre la technique et l'acteur, ça m'a énormément appris. La machine, j'adore ça, maintenant. Je sais qu'elle est là pour m'aider et non pour me nuire. Quand j'ai commencé à faire du cinéma, je voulais convaincre tout le monde que j'avais quelque chose en dedans de moi pour faire ce que j'avais toujours rêvé de faire. Je ne crois pas qu'il y a 15 ans, Philippe Falardeau serait venu me chercher pour son film. La vie me montre que oui, j'avais ce feu à l'intérieur. Mais surtout, j'aime le miracle de faire un film. Particulièrement au Québec. C'est comme la guerre. On doit gagner, on n'a pas le choix. Et on gagne.»

Ego Trip prend l'affiche le 8 juillet.

Les compagnons de l'Ego Trip

Marc Morin n'est pas seul en Haïti. Il est entouré de curieux personnages qui rendent son voyage encore plus étrange.

Guy Jodoin (Richard Beaudoin)

Un photographe ouvert sur le monde, mais vraiment trop, et qui pousse son immersion en Haïti à l'extrême.

«C'est un gars qui vit par la misère. Il se laisse pousser la barbe, il ne se lave pas. Il photographie la misère, il est fier de la montrer, ça le nourrit. C'est un genre de parasite de la misère, comme un maringouin! Quand j'ai lu le scénario, j'ai ri. J'ai aimé ça, jouer quelqu'un qui rentre dans la vie des autres. La psychologie du personnage n'est pas loin de moi. Quand je voyage, j'aime ça parler au monde. Sur le tournage, je parlais aux gens, je donnais des bouteilles de sirop d'érable. Je découvrais que j'avais un petit côté Richard!»

Marie-Ève Milot (Nataly Chabot)

Directrice des communications pour une ONG, elle s'occupe de Marc Morin comme une matrone, soucieuse de renvoyer une image dramatique de la situation afin de récolter des fonds.

«C'est un personnage loin de moi, c'est carrément un rôle de composition! Ça va à l'encontre de ma vision du monde, de mes valeurs. Je trouve noble de vouloir amasser de l'argent, de vouloir mettre l'attention sur une catastrophe naturelle, sur la détresse humaine. Mais les motifs du personnage ne sont pas vraiment nobles. Les objectifs à atteindre sont plus de l'ordre de la productivité. J'aime bien comment François Avard flirte entre la comédie et la critique sociale, c'est ce qui me fait rire.»

Gardy Fury (Sammy)

Sammy est un chanteur qui débarque en Haïti en se la jouant star, convaincu que cette visite n'est qu'un gros party.

«Mon personnage doit avoir la fin vingtaine, mais dans sa tête, il est plus jeune que ça. C'est un chanteur amateur, il est dans le party, il pense qu'il s'en va dans un Club Med, qu'il va rencontrer des femmes, mais ça n'a absolument rien à voir avec ça! On a un peu le même rôle, Guy Jodoin et moi: on est déconnectés. Le yin et le yang. C'est un beau personnage, celui de Patrick Huard, qui va découvrir que les Haïtiens ne sont pas dans l'avoir, mais dans l'être. Je le sais, même si je suis Québécois, par mes origines haïtiennes.»