La mise en scène la plus époustouflante ne suffit pas toujours à embraser le cœur des spectateurs. Courville, le plus récent spectacle signé Robert Lepage et Ex Machina, en est l’une des preuves les plus probantes.

Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage… Depuis longtemps, Robert Lepage a fait sien cet adage. C’est particulièrement vrai pour cette pièce très exigeante sur le plan technique puisqu’elle met en scène un humain de chair et de sang au milieu de marionnettes, à la manière de l’art traditionnel japonais du bunraku.

Dans Courville, Lepage raconte les errances adolescentes de Simon, 16 ans, dans le Québec du milieu des années 1970. Secoué par la mort récente de son père, troublé par l’amour que lui porte son amie Sophie, mais attiré par le physique de dieu grec du sauveteur de la piscine municipale, Simon traverse ses journées entre doute et douleur.

Le spectacle présenté en première mondiale au Diamant en septembre 2021 (auquel l’auteure de ces lignes a assisté) a débarqué sur la scène du Théâtre du Nouveau Monde dans une forme renouvelée. D’abord grâce à un changement d’interprète majeur, puisque Robert Lepage a cédé sa place à Olivier Normand, un acteur au jeu très physique.

Peu connu sur la scène montréalaise, Olivier Normand offre une performance très solide, campant une foule de personnages avec beaucoup de justesse. Lepage semble s’être trouvé un héritier de la trempe d’Yves Jacques pour porter ses mots sur scène. Ce n’est pas peu dire.

Autres modifications notables : un resserrement de la trame narrative et un polissage nécessaire du texte, émaillé désormais de quelques pointes de cet humour un brin trivial si cher au dramaturge.

La complexe chorégraphie des marionnettistes s’est aussi peaufinée. Les gestes sont plus assurés, moins laborieux. Résultat : le rythme est plus soutenu et les risques de décrochage du public, moins nombreux.

PHOTO YVES RENAUD, FOURNIE PAR LE TNM

Projections vidéo, marionnettes et acteur de chair et de sang cohabitent dans Courville.

Les marionnettes de taille presque humaine (créées par Jean-Guy et Céline White) sont sans conteste les grandes vedettes de ce spectacle audacieux. Il fallait du cran pour choisir ce chemin peu emprunté dans le théâtre actuel. Or, du cran, Lepage n’en manque pas. Ces créatures de bois et de tissu apportent une indéniable touche de poésie à l’ensemble. Elles prennent vie sous les mains expertes des manipulateurs. Au point qu’on finit par oublier qu’elles sont des êtres inanimés…

Les décors d’Ariane Sauvé, magnifiés par la maestria de Robert Lepage à la mise en scène, méritent aussi d’être applaudis. D’un basculement de plateau à l’autre, on passe du sous-sol de banlieue à la piscine municipale, au cimetière ou à l’école secondaire. Les superbes projections de Félix Fradet-Faguy enveloppent le tout avec beaucoup d’originalité.

Il reste que cette histoire d’adolescent à fleur de peau découvrant sa sexualité reste assez mince, voire à la limite de la banalité. Et les quelques pirouettes narratives en fin de spectacle n’arrivent pas à chasser cette impression de déjà-vu.

On peine à se passionner pour ce garçon qui doit trouver sa voie au sein de sa famille dysfonctionnelle, alors que les tourments de l’adolescence le prennent au ventre. Bref, le cœur reste tiède, même si les yeux sont éblouis par les prouesses techniques et scéniques déployées ici par Robert Lepage et compagnie.

Si Courville confirme le génie de Robert Lepage à la mise en scène, ce spectacle ne s’inscrira pas au panthéon de ses plus grandes productions. Il reste qu’il faut saluer bien bas son audace et sa constante volonté de se renouveler.

Courville

Courville

Texte et mise en scène de Robert Lepage, avec Olivier Normand

Théâtre du Nouveau Monde, Jusqu’au 15 octobre

7/10

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