L'audition d'Éléonore Lagacé pour le programme de chant classique de McGill a été une catastrophe. Les juges, peu tendres, lui ont tout reproché, y compris une technique vocale pourrie. Pourtant l'ex-candidate de La voix et de La cour des grands, où on l'a vue du haut de ses 11 ans jouer de la harpe, a été admise.

«À La cour des grands, tu sais ce qui t'a sauvée? Ta présence sur scène et ton charisme. Quand tu montes sur une scène, on oublie tous tes défauts», lui a lancé un prof. L'enseignant en question avait entièrement raison. Et ses propos se vérifient ces jours-ci au Théâtre St-Denis dans la comédie musicale Footloose, où Éléonore Lagacé est Ariel, la fille d'un révérend, un brin délinquante, dont tombe amoureux le jeune Ren MacCormack.

C'est Philippe Touzel qui a le premier rôle, mais la révélation de Footloose, c'est sans conteste Éléonore. Tous les soirs, avec ses boucles blondes, son énergie folle, sa voix flûtée et son charisme à tout casser, Éléonore fait craquer le public. Le charisme procède d'une étrange alchimie. Ce n'est pas un talent qu'on développe. C'est une sorte de don des dieux. Éléonore Lagacé croit que c'est une force intérieure. Déjà à 7 ans, dans une vidéo tournée par son père, elle crevait l'écran.

«Qu'est-ce que tu veux faire quand tu vas être grande? lui demande son père. - Je vais être une chanteuse de rock'n'roll», répond avec fougue la petite.

Le charisme procède d'une étrange alchimie, mais dans le cas d'Éléonore Lagacé, l'héritage musical familial n'a pas nui. Éléonore, qui aura 20 ans le 21 juillet, est la petite-fille des deux grands organistes et clavecinistes Mireille et Bernard Lagacé. Elle est aussi la fille de la diva-soprano Nathalie Choquette. Son père, c'est Éric Lagacé, prof de musique et contrebassiste de jazz qui a accompagné le grand Oliver Jones pendant dix ans. Et Florence K est sa demi-soeur. Avec un tel bagage familial, Éléonore n'a jamais pensé qu'elle serait médecin ou avocate ni qu'elle ferait autre chose dans la vie que de la musique.

«J'ai chanté sur les albums de ma mère. J'ai fait partie des choeurs dans ses spectacles. J'ai été de la distribution du spectacle Décembre pendant des années», dit Éléonore, assise en face de moi dans le café Starbucks de Notre-Dame-de-Grâce où elle m'a donné rendez-vous.

«Chanter, faire de la musique, c'est ce qu'il y a de plus normal pour moi.»

Premier constat, elle est très grande: beaucoup plus grande que sur scène, plus mince et plus menue aussi, avec des jambes aussi longues que l'autoroute Décarie. Pour l'énergie, par contre, je ne perçois aucun décalage. En personne, Éléonore est la même bombe atomique que sur scène, vive, animée et habitée par une fougue et une légèreté qui justifient bien son totem chez les scouts: Colibri passionné.

La folie d'Ariel

Elle me raconte qu'en recevant le texte d'Ariel pour se préparer pour son audition, elle a fait une découverte étonnante: «J'ai découvert que cette fille-là était folle et qu'en fin de compte, cette fille-là, c'était moi. Je me reconnaissais tellement dans Ariel que j'avais peur d'aller passer l'audition et de ne pas décrocher le rôle. Je me disais que si une autre fille que moi avait le rôle, j'allais lui péter la gueule... Enfin, façon de parler», dit-elle en riant.

Le jour de la fameuse audition, Éléonore est d'abord passée chez sa psy, celle que toute la famille consulte, avoue-t-elle avec une belle candeur. Après, elle est allée chez le coiffeur pour boucler ses longs cheveux droits. Puis, avec son amie Jeanne, elle a pris le métro. Son audition était la dernière de la journée. On lui a demandé de chanter une chanson et de jouer deux scènes. Elle est repartie avec un bon pressentiment. Sauf qu'il lui fallait maintenant attendre. Or, s'il y a une chose que cette hyperactive n'aime pas, ce qui même la fait rager et ronger son frein, c'est attendre. Une semaine s'est écoulée. L'agent d'Éléonore, qui porte le même nom que le chef de la CAQ, l'appelait à tout bout de champ pour savoir si elle allait reprendre pour un autre été le rôle de Patty Simcox dans Grease. Et Éléonore, avec sa belle naïveté et sa foi inébranlable en elle-même, lui répondait qu'il y avait de fortes chances que non, mais qu'elle attendait une confirmation.

Et puis jeudi est arrivé. «C'était un jeudi de marde. Il pleuvait. J'avais pas envie d'aller à mon cours de musique baroque. J'étais de mauvaise humeur, y avait rien qui marchait. Mon portable a sonné. C'était Serge Postigo avec une voix grave qui me remerciait de mon intérêt et de mes efforts avant de m'annoncer qu'il avait une mauvaise nouvelle: j'allais devoir choisir entre Grease et... le rôle d'Ariel. J'étais folle de joie. En raccrochant, j'ai immédiatement appelé mon agent pour lui dire: "Tu vois, je le savais que je l'aurais!"»

Non seulement Éléonore chante et danse depuis toujours, mais elle a commencé le piano à 4 ans, a poursuivi avec la harpe de 7 à 12 ans puis avec la guitare classique et jazz.

«Comme une harpe, ça se joue mal dans un feu de camp, que ça swingue pas beaucoup et que c'est pas très rassembleur, je suis passée à la guitare parce que moi, je veux être la personne qui rassemble le monde.»

L'expérience de La voix

Dans les coulisses de La voix 2014 où elle s'est rendue en quart de finale, elle joue de la guitare comme si elle avait fait ça toute sa vie. Elle avoue que Louis-Jean Cormier est la seule raison pour laquelle elle s'est présentée au concours. «C'était mon idole. J'avais essayé à plusieurs reprises de le contacter sur Facebook. Il ne répondait pas. Quand j'ai su qu'il était juge à La voix, j'ai foncé. Je m'en foutais de gagner. L'important, c'était d'être dans son équipe.» 

Éléonore n'a pas vraiment été déçue de ne pas se rendre en finale. Sa seule déception, c'est d'avoir accepté de chanter une ballade trop douce qui ne lui a pas permis de montrer l'étendue de ses talents rythmiques et pop. Elle rêvait de chanter Blame It On the Boogie des Jackson 5, mais Louis-Jean Cormier a préféré qu'elle chante un poème de Gaston Miron. Elle le regrette un peu.

Ces jours-ci, Éléonore est entièrement absorbée par son rôle dans Footloose. Mais elle a aussi commencé à composer ses propres chansons, en anglais parce qu'elle n'arrive pas à écrire en français, dans l'espoir de faire une carrière solo. Avec ses 20 ans à peine sonnés, elle se retrouve un peu à la croisée des chemins et se demande si elle va continuer ses études en chant classique à McGill ou pas. En attendant, chaque soir sur scène, Ariel libère en elle une formidable dose d'énergie, de saine révolte et de soif de vivre. Pour son plus grand bonheur et le nôtre.

Photo Martin Tremblay, La Presse

« Je me reconnaissais tellement dans Ariel que j'avais peur d'aller passer l'audition et de ne pas décrocher le rôle », dit Éléonore Lagacé au sujet du rôle qu'elle joue dans Footloose.