À moins d'un mois du lancement de son nouvel album The Carnival III - The Fall and Rise of a Refugee, Wyclef Jean est à Montréal pour participer au grand spectacle Montréal symphonique samedi soir. Et il a beaucoup à dire sur le phénomène des demandeurs d'asile haïtiens qui anime les débats au Québec, de même que sur la crise politique aux États-Unis qui n'est certes pas sans lien avec ce qui se passe ici.

Wyclef Jean se dit honoré de participer à Montréal symphonique, l'un des spectacles phares du 375e anniversaire de Montréal qui réunira trois orchestres et une foule d'artistes invités. « Je suis presque le premier rappeur à m'être produit au Carnegie Hall avec un orchestre », souligne-t-il, ajoutant que ce sont des initiatives qui font avancer non seulement la culture, mais tout le monde en même temps.

« Thank God for the culture », lui lance-t-on, puisque c'est le titre de l'une des pièces de son nouvel album, The Carnival III - The Rise and Fall of a Refugee, qu'il lancera le 15 septembre, soit 20 ans après The Carnival en 1997, son premier album solo après la célèbre aventure du groupe The Fugees. « Thank God, yeah baby ! », répond-il en riant.

Vendredi, il a offert en après-midi un spectacle-surprise près du Kwizinn Resto-Bar de la Plaza St-Hubert, en compagnie de la cantatrice Marie-Josée Lord et de la chanteuse Mélanie Renaud, nouvelle preuve de son goût pour le mélange artistique. « Parce qu'elles sont incroyables, explique-t-il. Vous savez, être une personne de couleur et vouloir être une grande chanteuse d'opéra, ce n'est pas facile dans le milieu d'où je viens. C'est comme jouer au golf. Les gens ont des stéréotypes dans leurs têtes. Vous ne pouvez pas être bon : vous devez être génial. »

Mais pendant que nous discutons culture, des demandeurs d'asile haïtiens, craignant d'être expulsés des États-Unis, arrivent chaque jour à la frontière, ce dont est bien conscient Wyclef Jean, que l'on sait très politisé. D'origine haïtienne lui-même, il est arrivé aux États-Unis à l'âge de 9 ans, et a même voulu se porter candidat à la présidence d'Haïti en 2010. Il estime que le Canada a toujours été un modèle de terre d'accueil, mais il comprend que la situation actuelle cause une crise politique. 

« Si j'étais le Wyclef de 20 ans, je parlerais autrement. Je serais au Stade olympique en ce moment, à apporter de la nourriture et de l'eau. Le Wyclef d'aujourd'hui parle de TPS [Temporary Protected Status] promis à ces gens. Le gouvernement canadien ne peut pas dire "sortons-les", mais en même temps, il y a une crise. Et comment la résoudre ? Je serais volontaire pour donner du temps, et je suis certain que plusieurs autres célébrités aussi, pour amasser de l'argent et travailler avec le gouvernement canadien pour la mise en place de politiques et de subventions, pour des relogements, car le Canada, c'est grand. » 

« Ces gens ne sont pas des criminels, ils ne sont pas responsables du tremblement de terre, mais ils ne peuvent pas tous squatter une ville. »

- Wyclef Jean à propos des demandeurs d'asile haïtiens à Montréal

« En fait, poursuit-il, il ne s'agit pas tant d'amasser de l'argent que de se demander comment loger les gens et qui aura cette responsabilité. Il y a des calculs à faire, et en même temps, du côté de l'Amérique, nous devons tenir Donald Trump responsable. Moi et mes amis de Hollywood, nous pouvons mener la charge - je peux appeler Céline Dion ! -, mais ça ne peut pas être seulement un concert pour amasser de l'argent ; il faut des politiques, une législation, sinon ce serait une perte de temps. »

L'UNION FAIT LA FORCE

Ce qui s'est passé à Charlottesville, et le refus du président Trump de désavouer les suprémacistes, doit à son avis mener à une union des forces de tous les partis. « Il nous ramène dans les années 50 ! se désole ce partisan de Bernie Sanders. Mais on ne doit pas se concentrer sur Trump. Nous devons nous assurer d'être unis et savoir comment reprendre le Congrès. J'ai des républicains dans ma famille et ils n'arrivent pas à croire ce qui arrive. Ces groupes suprémacistes font du bruit, mais c'est important qu'ils ne nous divisent pas. Avancer est une vérité qui doit arriver. »

Au sinistre cirque politique de Trump, Wyclef Jean répond par le mélange coloré du carnaval. Le nom de son premier groupe, The Fugees, est dérivé du mot « réfugiés ». Le sous-titre de son nouvel album, The Fall and Rise of a Refugee (La chute et l'ascension d'un réfugié), renvoie aussi à ce mot. Le nombre de réfugiés sur la planète dépasse de nos jours celui de la Seconde Guerre mondiale, alors nous lui demandons : comment les réfugiés changent-ils le monde ? 

« Ils nous rappellent, quand on se lève le matin, qu'on devrait compter les avantages dont nous jouissons. Parce que nous n'avons pas à faire nos bagages la nuit pour fuir une armée qui veut tuer notre famille, parce que nous ne sommes pas dans un désastre naturel qui fait que nous voyons des gens mourir sous les ruines devant nos yeux. Ils nous rappellent le facteur humain. Nous avons été créés pour nous enseigner des choses, pour nous aider les uns les autres. Ils rappellent que nous cherchons tous un refuge. Peut-être pas physiquement pour nous, mais c'est quelque chose de spirituel. Parce qu'il y a plein de gens qui se lèvent tous les matins et qui tournent en rond, qui n'ont pas ce sens de l'amour, le sens du refuge. L'argent ne peut acheter ça, car plusieurs de mes amis célèbres sont morts - de surdose, de suicide, ce genre de choses. Le sens du refuge est la chose la plus importante. »

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

Mélanie Renaud a planté un baiser sur la joue de celui qui s'apprête à lancer l'album The Carnival III - The Rise and Fall of a Refugee.