Rappelons brièvement les faits... Le 27 septembre 1849, l'écrivain américain Edgar Allan Poe, qui songe à se marier, quitte brusquement Richmond et sa compagne pour se rendre à New York. Une fois à bord du bateau, pour une raison inconnue, il change d'avis et on le retrouve ivre et délirant le 29 septembre chez le Dr Nathan, à Baltimore. Puis il disparaît de nouveau pendant quelques heures. Le 3 octobre au soir, les vêtements déchirés et souillés, il délire dans une salle de vote (des élections avaient lieu ce jour-là). Admis au Washington Hospital, il restera en pleine crise de delirium tremens pendant plusieurs jours avant de succomber le dimanche 7 octobre.

Que s'est-il passé pendant cette semaine fatidique? Nul ne le sait vraiment, même si les biographes de Poe, fort nombreux, proposent chacun leur version des faits. Pour les auteurs de polars, cet épisode mystérieux dans la vie du poète est une formidable source d'inspiration qu'ils n'ont pas manqué d'exploiter, parfois de manière très originale. Ainsi Matthew Pearl, auteur du bestseller érudit Le cercle de Dante, revient sur cet épisode dans L'ombre de Poe, un polar historique touffu mettant en scène Quentin Hobson Clark, un jeune avocat de Baltimore et grand admirateur de Poe. Révolté par les articles calomnieux publiés après la mort de l'écrivain, découragé par l'inaction de la police, qui ne voit rien de louche dans cette fin tragique, Clark est bien décidé à blanchir la réputation de Poe et à prouver qu'il a été victime d'un complot.

Pour ce faire, il se rend à Paris pour rencontrer le modèle vivant du chevalier Dupin, le premier limier de la littérature policière, seul habilité à faire toute la lumière sur les événements. À sa grande surprise, il découvre que deux personnes revendiquent le titre de détective modèle: un type bizarre dénommé Duponte, bien connu de la police, et un certain baron Dupin. Qui dit vrai? Les deux énergumènes se rendront en Amérique dans des conditions rocambolesques. La mémoire de Poe sera réhabilitée, le mystère de sa mort éclairci, mais à quel prix!

L'ombre de Poe est une oeuvre labyrinthique, dense, érudite, riche en détails historiques et en événements tragiques. Les lecteurs friands d'anecdotes historiques ainsi que les admirateurs de Poe y trouveront largement leur compte, tandis que les amateurs de polars plus traditionnels risquent d'être rebutés par l'absence de suspense et le foisonnement parfois étouffant d'information.

Dans ce roman, Matthew Pearl propose une reconstitution plausible des événements qui ont mené à la mort de Poe, basée sur de nombreux documents et témoignages. Ce qui n'est pas le cas de Fabrice Bourland, qui, dans La dernière enquête du chevalier Dupin, revient sur les mêmes événements mais dans un contexte et avec une approche totalement différents.

L'action se transpose à Paris où Auguste Dupin, secondé par Carter Randolph (clin d'oeil à H.P. Lovecraft) enquête sur la fin tragique du poète Gérard de Nerval, trouvé pendu aux barreaux d'une grille dans une sordide rue de la Vieille Lanterne. Le poète français s'est-il suicidé dans un moment de folie ou a-t-il été assassiné? Les indices étranges s'accumulent: une momie égyptienne, un daguerréotype et un corbeau solitaire qui rappelle à Dupin une autre affaire: celle de la mort d'Edgar Poe. Ce mini-polar est un exercice de style érudit d'une centaine de pages dans lequel Bourland joue résolument la carte de l'occultisme et du fantastique, tout en rendant hommage à quelques écrivains, dont Poe, Lovecraft, Nerval et Dumas. Ses théories fantaisistes ne se retrouveront dans aucune histoire littéraire, mais elles sont la matière d'une intrigue amusante, sans prétention, agréable à lire.