Il est venu... et passé, le temps des cathédrales. Il aura fallu 18 ans, en effet, pour que Ken Follett donne une suite aux Piliers de la terre, cette formidable fresque qui racontait les bâtisseurs de l'Angleterre du XIIe siècle et qui, selon les chiffres officiels, a séduit 90 millions de lecteurs dans le monde.

Publié il y a un an en anglais, italien, allemand et espagnol, Un monde sans fin, qui est arrivé jeudi (enfin!) dans nos librairies, caracole depuis six mois sur la liste des succès du New York Times et s'est vendu à près de quatre millions d'exemplaires.

 

Alors, les lecteurs en ont-ils pour leur argent? Au poids, c'est certain: cette brique de près de 1300 pages pèse environ deux kilos! Au contenu aussi, même si cette suite n'atteint pas les sommets du livre fondateur. Lequel touchait carrément aux étoiles... en tout cas, dans les souvenirs, qui embellissent toujours les choses. Mais il est vrai que, par son sujet, son traitement et ses personnages (plus que pour ses qualités purement littéraires), Les piliers de la terre est un roman populaire d'exception. Un monde sans fin, qui s'éparpille davantage et apparaît donc moins puissant, en est un très bon. Ce qui est déjà très fort, quand on sait combien le risque de décevoir est grand dans un tel genre d'entreprise.

Ce qu'il en est? Nous sommes toujours à Kingsbridge. Mais deux siècles après que la cathédrale que l'on sait eut été bâtie par ceux que l'on sait: Tom le Bâtisseur et son «fils», Jack le Bâtisseur. Elle est toujours debout. Mais des failles apparaissent. Une tour penche. Une section de l'édifice s'effondre. La cathédrale est-elle condamnée? Le parallèle avec l'incertitude de l'époque - la guerre avec la France, la grande épidémie de peste... - n'est certainement pas accidentel. Ken Follett sait trop y faire.

Pour raconter ces troubles, ces tensions politiques, ces rivalités familiales, ces amours tourmentées, il utilise quatre personnages qu'il suit pendant 35 ans. Ils ont plus ou moins 10 ans quand il nous les présente. Ils sont Gwenda, voleuse et romantique; Caris, esprit libre qui rêve de devenir médecin; Ralph, fourbe et assoiffé de vengeance; et Merthin, son frère, constructeur de génie qui oeuvrera à Kingsbridge mais aussi en Italie.

Quatre destins finement entremêlés, mais quatre destins quand même. D'où le sentiment d'éparpillement qui colle par moment à la lecture. Car pour se pencher sur l'un, Ken Follet abandonne les autres. Déplaçant son foyer... et le nôtre. Parfois, pour faire le point sur l'une de ces lignes de vie moins intéressantes, toutes n'ayant pas la même force ni la même pertinence. Comme les personnages: Ralph donne dans la caricature du méchant et son obstination semble tirée par les cheveux; quant à Caris, bien que magnifique, son «féminisme» avant le temps fait parfois tiquer.

N'empêche. Le terme page turner s'applique ici. Ce Monde sans fin n'est pas une lecture interminable, tant s'en faut. Et nous reviendrons dessus lors du Salon du livre de Montréal où, rappelons-le, Ken Follett sera de passage. Là, ce sera un cas de... file sans fin!

Un monde sans fin

Ken Follett

Robert Laffont, 1288 pages, 39,95$ ***